Charlotte Gainsbourg à la vitesse du son (Le Figaro Magazine)

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Par Nicolas Ungemuth, Le Figaro Magazine, 11/12/2009

L’ex-chrysalide de «Lemon Incest» est désormais un papillon qui n’a peur de rien. Charlotte envisage même de donner des concerts.

Trois ans après un album réalisé avec Air, la comédienne s’est envolée à L.A. pour réaliser en compagnie de Beck, «IRM», son disque le plus chaleureux. Rencontre.

Pour la discrète Charlotte, 2009 fut une année bien remplie : un rôle remarqué dans Antichrist, de Lars von Trier, dans lequel elle a su, une nouvelle fois, se réinventer intégralement – ce qui lui a valu le prix d’interpré tation féminine à Cannes ; la sortie de Persécution, de Patrice Chéreau, avec l’exaspérant Romain «j’ai-l’air-très-malheureux-et-je-serre-les-dents-en-retroussant-les-babines-mais-personne-ne-voit-que-je-surjoue-à-m’en-faire-péter- les-artères» Duris, et le tournage en Australie de The Tree, de Julie Bertucelli. Enfin, dans les bacs depuis quelques jours, son troisième album.

Le premier, pour mémoire, avait déclenché quelques scandales. C’était en 1986 et son père, détournant une mélodie de Chopin, avait eu l’idée d’enregistrer un morceau intitulé Lemon Incest. Le deuxième, sorti vingt-trois ans plus tard, réalisé avec le duo français Air et quelques paro liers très smart (Jarvis Cocker, ex-Pulp, et Neil Hannon, de la Divine Comedy), avait emballé la galaxie – à raison. Le troisième * surprend idéalement. Conçu avec Beck, prodige des années 90 en perte de vitesse depuis dix ans, le disque était perdu d’avance (une star française « fille de » s’acoquinant avec la hype d’il y a quinze ans). Contre toute attente, l’ancien génie a sorti le meilleur de lui-même, comme si la Charlotte, simple interprète, avait le don de faire se surpasser tout un chacun.

Dans un hôtel parisien jouxtant un atelier robuchonesque, elle reçoit, assise par terre. Courtoise mais imperceptiblement distante. Un beau rire en cascade très charnel vient réchauffer des propos dont chaque mot semble soupesé. C’est tant mieux.
Le Figaro Magazine – Deux albums en trois ans, les affaires musicales deviendraient-elles sérieuses ?
Charlotte Gainsbourg – Je ne trouve pas ! La promo du précédent album, c’était il y a trois ans, et un an et demi a passé avant que je me lance à nouveau. Si j’enchaîne avec un autre album dans trois ans, là on pourra dire que cela devient une habitude ! Mais pour moi, c’est seulement une deuxième aventure musicale à l’âge adulte.

Cet album est très différent du précédent. Plus organique, plus chaud, et votre voix y est surprenante.
Je souhaitais faire quelque chose de différent, sinon j’aurais retravaillé avec Air. Néanmoins, je n’avais pas en tête une vision précise et finie de ce que je voulais. Mon envie était de laisser Beck explorer plusieurs directions, et de m’amuser. En m’amusant plus, je me suis autorisé plus de choses, notamment avec ma voix. J’étais plus décontractée.

Cette fois-ci, vous étiez juste deux ?
C’était génial parce que nous étions en tête à tête. Il me poussait à écrire constamment… Pour lui, c’est normal, c’est tellement facile ! Le simple fait que j’essaie créait un dialogue. Je griffonnais des bricoles, il les lisait et s’en inspirait pour ses textes et pour ses musiques. Avec Air, au contraire, les musiciens avaient déjà leurs compo sitions en tête, et plusieurs paroliers avaient écrit les textes. Cette fois-ci, j’étais plus impliquée. Beck souhaitait me faire réagir. J’étais assez intimidée : ses connais sances musicales sont si vastes qu’il m’arrivait de penser que je n’avais pas le langage nécessaire pour m’exprimer.

Pourquoi ne pas écrire vos propres textes ?
Je suis le contraire d’une personne modeste : comme je ne veux pas être déçue par ce que je vais faire, je ne vais jamais le faire… Pour l’instant, je ne m’en sens pas à la hauteur. J’aime les chansons en anglais, mais je n’ai pas le vocabulaire suffisant. Quant aux textes en français, pour que ça sonne bien en musique, il faut vraiment le talent de quelqu’un comme mon père – qui est à peu près inéga lable dans le registre.

Justement, vous n’avez collaboré qu’avec des musiciens qui adorent son travail: Air, Jarvis Cocker, Neil Hannon et Beck. N’est-ce pas un peu lourd, pour vous comme pour eux, qui doivent succéder à leur idole ?
J’aurais mieux fait de travailler avec des gens qui le détestent, peut-être ? (sourire) En fait, je ne me pose pas la question. D’ailleurs, je ne savais pas à quel point Beck était familier avec le travail de mon père. Nous n’avions jamais réellement parlé de mon père.

Vous avez conçu l’album à Los Angeles ?
Oui, et le studio était dans la maison de Beck, avec ses enfants qui cavalaient, c’était familial et très décontracté. Cet éloignement a été productif : ma famille me manquait, mais je pense qu’on est plus ouvert quand on est ailleurs. Quand on est seul avec ses bagages, il est plus facile d’aller fouiller à l’intérieur de soi, de ne garder que l’essentiel. Les choix en deviennent plus clairs.

Entre le film de Lars von Trier et cet album avec Beck, que vous ne connaissiez pas, avez-vous l’impression de vouloir prendre des risques ?
Pas du tout. Tout le monde me dit ça, mais ce n’est pas le cas. Le film de Lars von Trier, je l’ai fait parce que ça m’excitait de découvrir son univers, parce que c’est un grand metteur en scène. J’étais angoissée non pas par les scènes de nu, mais parce que j’avais simplement peur de mal jouer. Ça peut paraître un peu gros de dire ça, mais aujourd’hui, plus que les scénarios, ce sont les rencontres avec les réalisateurs et les acteurs qui m’intéressent. Cet album, c’est également une rencontre.

Avez-vous vu le film « Gainsbourg », qui sort le 20 janvier prochain ?
(fermement) Non.

Vous ne voulez pas le voir ?
Non. Pas tout de suite. Mais un jour, sans doute.

Faire des disques, c’est une respiration dans la routine du cinéma ?
Je trouve que c’est une chance incroyable de pouvoir passer d’un milieu à un autre. Au cinéma, même si à chaque fois c’est une nouvelle aventure, je suis en territoire connu. Pouvoir respirer avec la musique, où je découvre tant de choses, c’est le bonheur… J’ai l’impression d’être en apprentissage, et j’ai toujours adoré avoir des profs, des guides.

Envisagez-vous de monter sur scène ?
Oui. J’avais eu une expérience traumatisante avec Air, il y a trois ans, lorsque je les avais rejoints en concert le temps de deux morceaux. J’avais tellement peur que c’en était désagréable. Mais cette fois-ci, je vais travailler avec des musiciens de Beck, et je me sentirai moins seule. J’ai envie d’être assez armée pour pouvoir affronter l’expérience. Une fois encore, j’ai besoin d’être guidée…

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