La fragile assurance de Charlotte Gainsbourg à La Cigale (Le Monde)

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La chanteuse était en concert, mercredi, rejointe par le partenaire de son dernier album, Sebastian.

LE MONDE | 29.03.2018 à 15h25 | Par Stéphane Davet

Charlotte Gainsbourg lors des 33es Victoires de la musique à La Seine musicale, le 9 février 2018.
Longtemps après s’être camouflée derrière les mots anglophones des autres, Charlotte Gainsbourg a réussi dans Rest, son quatrième album, paru en novembre 2017, à libérer sa plume et s’affirmer en français. Longtemps après s’être abritée, en concert, derrière ses musiciens pour se protéger de sa fébrilité vocale, celle qui vient d’être désignée « artiste féminine de l’année » aux dernières Victoires de la musique, allait-elle gagner en assurance scénique ?

Après des premières dates à Berlin, Amsterdam ou Zurich et avant Londres, Tokyo, Bruxelles et le Printemps de Bourges (le 26 avril), l’actrice et chanteuse retrouvait le public français, mercredi 28 mars, dans la salle parisienne de La Cigale. En ouverture, les mots de Lying With You ont beau dévoiler, de manière crue, des adieux glaçants à son père – « Au coin de ta bouche une traînée / Tu n’aurais pas aimé » –, la fille de Serge Gainsbourg et Jane Birkin (resplendissante au premier rang du balcon) semble à nouveau se réfugier dans un « mix à l’anglaise », la voix noyée dans le jeu de ses instrumentistes.

Une impression accentuée par le décor de cadres, à l’éclairage blanc alternatif, entourant les musiciens et la chanteuse, souvent assise au piano. Si l’effet esthétique est séduisant, cet « encadrement » provoque aussi un effet de distanciation entre le public et une artiste, le plus souvent plongée dans l’ombre. Sa timidité maladive – partie intégrante de son aura –, Charlotte Gainsbourg la décrypte dans le très cash I’m a Lie, troisième titre de la soirée. Mais l’on s’aperçoit vite que les hésitantes premières minutes n’étaient qu’un compréhensible échauffement.

Malaises et deuils

Ses malaises intérieurs et les deuils – ceux de son père et de sa sœur, la photographe Kate Berry (1967-2013) –, thèmes centraux de Rest, ont fait l’objet d’un exorcisme en chansons, qui semble l’avoir rendue plus forte. Confirmant l’importance de ce disque, l’actrice et chanteuse explique qu’il sera la matière principale du spectacle. L’album précédent, IRM (2009), réalisé avec Beck, n’a droit qu’à un morceau, Heaven Can Wait, tout comme son prédécesseur, 5:55 (2006), d’où est tiré The Songs That We Sing, coécrit par Jarvis Cocker et Neil Hannon.

Même quand elle se lève de son piano, la fine silhouette, en pantalon et blouson de jean, tee-shirt blanc, demeure dans le clair-obscur. Mais son chant s’affirme avec une autorité croissante, portée par les bandes-son de son nouveau partenaire, le DJ, compositeur et producteur parisien, Sebastian. Mêlant noirceur et sensualité de l’électro, élans cinématographiques et majesté pop, ce dernier a donné une chatoyante ampleur au spleen de la chanteuse.

Ces musiques passent brillamment l’épreuve de la scène, grâce à de jeunes musiciens rodés aux fusions de pulsions numériques et d’instrumentation organique, qu’il s’agisse de Paul Prier (claviers) et Bastien Doremus (machines), déjà compagnons de tournée de Christine and the Queens, du batteur, Louis Delorme, croisé avec Air, ou du guitariste David Nzeyimana et du choriste écossais Gerard Black, familiers du groupe François & the Atlas Mountains.

Matière synthétique

Sur une longue version de Deadly Valentine, Sebastian, tout habillé de noir, rejoint la troupe, aux claviers, pour l’un des morceaux de bravoure du concert. Jouant autant des aspects dansants que contemplatifs de la matière synthétique, celle qui fut, cette année, nommée aux Césars pour son interprétation de la mère de Romain Gary dans Les Promesses de l’aube, peut évoquer la poétesse Sylvia Plath (1932-1963), dans Sylvia Says, tout en batifolant du côté de Madonna et Giorgio Moroder.

Dans le difficile exercice de l’épure et des aigus cher à sa maman, la chanteuse émouvait auparavant par son instabilité plus que pour sa justesse. Dans la bouleversante délicatesse de Kate, consacré à sa sœur, à qui elle a dédié Rest et aussi ce concert, Charlotte convainc dorénavant de l’assurance prise par sa fragilité.

Plus que celles de Jane, ces notes hautes rappellent celles de son tout premier album, Charlotte For Ever (1986), celui de l’enfance, écrit et réalisé par Serge. Elle en reprend d’ailleurs la chanson-titre. Tout comme elle reprendra, en rappel, après une version inattendue et réussie du Runaway, de Kanye West, un autre célèbre duo paternel, Lemon Incest, jonglant avec les graves du papa comme avec ses aigus de gamine. Au grand bonheur d’un public à l’affection débordante, qu’elle reviendra saluer avec Sebastian, sans accorder pour autant un second rappel.

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