Installée à Manhattan depuis trois ans, Charlotte Gainsbourg a changé de vie. Avant la sortie de son nouvel album, Rest, et de deux grands films à venir, la comédienne et chanteuse française se confie à L’Express diX, avec émotion et simplicité.
D’abord, c’est la ville tout entière qui apparaît à l’autre bout du fil. Les sirènes endiablées et les marteaux-piqueurs tapageurs retentissent dans un vacarme assourdissant. Nul doute, nous sommes à New York. Ensuite, une voix entre en scène, doucement. Elle s’approche du combiné. C’est Charlotte Gainsbourg.
Entre la délicatesse de l’artiste française et la rutilance du décor américain, le contraste est saisissant. Et pourtant, c’est ici, au coeur de Manhattan, que la comédienne a élu domicile, il y a trois ans, avec ses deux enfants. Le décès de Kate Barry, sa soeur, rendait sa vie parisienne insupportable. Il a fallu fuir, « sauver sa peau », dira-t-elle… Pour tenter d’aller mieux. Aujourd’hui, c’est le cas. Enfin presque.
Dans l’interview qui suit, le fantôme de la disparue se cache entre les lignes. Mais la vie a repris le dessus. La culture new-yorkaise, dont il sera question ici, s’est infusée dans son travail. Son dernier album, Rest, conçu avec le producteur SebastiAn, est prêt.
A la fin de l’année, l’actrice sera à l’affiche de l’adaptation du roman La Promesse de l’aube, d’Eric Barbier, et au côté de Michael Fassbender dans Le Bonhomme de neige, un thriller psychologique de Tomas Alfredson. Et puis, il y a son image et la maison Gérard Darel, dont elle est l’égérie. Charlotte Gainsbourg sort d’ailleurs tout juste d’une séance avec le photographe Alexei Hay. La voilà prête à se confier.
Prenez-vous du plaisir devant l’objectif d’un photographe?
Bien plus qu’avant! Adolescente, je détestais ça: je trouvais l’expérience oppressante et ennuyeuse. Un véritable cauchemar. Quelques années plus tard, j’ai servi de modèle à ma soeur Kate [Barry], qui se lançait aussi dans la photographie. Devant elle, tout est devenu plus amusant et plus léger. Elle savait me mettre en scène. Nous jouions, nous étions complices… C’était une autre époque.
Par contre, je déteste toujours voir les équipes s’attrouper devant l’ordinateur et commenter les photos pendant qu’on attend devant l’objectif. Heureusement, aujourd’hui, les photographes de mode reviennent à la pellicule. Ils prennent leurs photos, et on découvre le résultat par surprise bien plus tard. Cette spontanéité me convient.
Connaissiez-vous le quartier de New York où ces photos ont été prises?
Absolument pas. Nous étions au nord de la ville, à l’ouest de Central Park, dans un quartier très résidentiel. Des personnes âgées s’arrêtaient pour nous regarder, amusées… Nous avons bien rigolé. Alexei Hay, le photographe de cette série, est un personnage très marrant, il n’arrêtait pas de me vanter ce quartier qui est en fait le sien!
Et à présent, vous êtes chez vous.
Exactement. Et je me sens bien.
Vous habitez ici depuis presque trois ans. Devenez-vous new-yorkaise?
Non! Mon dépaysement est intact. Et je ne me suis jamais sentie aussi française. Tout me paraît étranger et donc nouveau. D’un point de vue artistique, New York est une ville idéale car la création est une activité banale. Ici, tout le monde écrit, peint, chante ou prend des photos. L’art n’est pas une chose sacrée, méritant une attention particulière. Du coup, je n’ai plus le même regard sur moi-même. Je me sens plus libre.
Les artistes viennent s’inventer, ou se réinventer ici. Comment l’expliquez-vous ?
Le cliché consiste à dire que l’on ressent une énergie et une électricité démente… C’est vrai, peut-être, mais je ne suis pas là pour monter une start-up ou pour changer le monde. Je mène une vie tranquille, je m’occupe de mes enfants qui vont à l’école, j’évite le tumulte qui grouille aux pieds des gratte-ciel. Il y a quelques mois, nous avons déménagé à Greenwich Village, l’ancien quartier bohème, situé au sud de Manhattan, qui est calme et paisible…
Et le berceau de la culture new-yorkaise…
Tout à fait. D’ailleurs, Patti Smith habite pas loin. Et l’on pense forcément à Bob Dylan, aux écrivains de la Beat Generation ou à Woody Allen quand on se balade dans ces petites rues. J’ai grandi avec cette culture, si charmante, si évocatrice, si importante. Mais je ne suis absolument pas partie à la recherche d’un New York fantasmé dans ma jeunesse. Je suis venue ici peu de temps après la mort de ma soeur Kate. Je ne supportais plus Paris, l’air devenait irrespirable… J’avais besoin de me retrouver, et de faire le point.
Y êtes-vous parvenue?
Je crois. En tout cas, je suis devenue anonyme. On me reconnaît dans la rue, parfois, mais c’est pour me parler de mes films et de ma musique. Jamais de mes parents, à qui l’on me ramène toujours en France. Les Américains ont une façon très simple et directe d’engager les conversations, sans a priori. Et comme je suis timide, cela me fait beaucoup de bien. J’ose enfin sortir de mon personnage.
Vous sortez beaucoup?
Plus qu’à Paris, mais ce n’est pas difficile! J’irai bientôt écouter ma mère qui chantera au Carnegie Hall, le 26 octobre, une salle mythique: elle montera sur scène avec un orchestre symphonique. J’amène parfois mes enfants voir des comédies musicales à Broadway. J’ai toujours aimé ça, ma mère et ma grand-mère nous emmenaient en voir à Londres quand tout me paraissait encore tellement surprenant. Et la journée, je me balade beaucoup, seule. New York est une ville qui m’inspire: sa lumière est belle, ses perspectives sont photogéniques, le mélange entre l’architecture moderne et ancienne me plaît…
Vous prenez des photos?
Plein. Lors de la conception de mon album, je suis partie à la recherche de clichés qui puissent illustrer une vision personnelle de la ville.
Quels sont vos sujets de prédilection ?
Des photos de rues, de poubelles et des fenêtres… Des objets isolés qui m’évoquent des émotions personnelles, particulières. Quand j’habitais chez ma mère, adolescente, j’avais une chambre noire dans le fond du jardin. Je n’étais pas particulièrement douée mais j’éprouvais une telle fascination à voir l’image apparaître comme par magie sur le papier… J’ai retrouvé ce plaisir de jeunesse.
Et cet album, vous l’avez enregistré à Brooklyn…
Tout à fait, dans un tout petit studio avec le producteur français SebastiAn. Je ne saurais vous dire quelle a été l’influence directe de Brooklyn sur cette musique, mais c’est ici que tout s’est cristallisé. Ensuite, le mixage a été réalisé à Electric Lady Studios, un lieu mythique construit par Jimi Hendrix, où sont passés Dylan, Led Zeppelin, les Stones, David Bowie, U2, les Clash… Paul McCartney a enregistré une chanson avec nous. C’était un moment hallucinant, magique.
Vous êtes aussi de culture anglo-saxonne, par votre mère. La pratique quotidienne de l’anglais est un retour aux sources?
Ma langue maternelle n’est pas l’anglais, mais le français avec un gros accent anglais! C’est ainsi que j’ai toujours entendu parler ma mère… Depuis mon arrivée ici, j’ai commencé à parler anglais à mes enfants. C’était un moment touchant et étrange. J’ai toujours trouvé un peu ridicule les Français qui se forcent à parler en langue anglaise… Et bien je m’y suis mise! Et les enfants sont ravis.
Quelles émotions sont plus accessibles en anglais?
L’humour n’est pas le même, évidemment. Celui des Britanniques est cynique et mordant. Les New-Yorkais, eux, sont plus absurdes… Comme dans les films de Woody Allen! Comme par hasard, je me suis ici plutôt liée d’amitié à des Britanniques ou à des Français. A l’étranger, on a parfois besoin de retrouver ses racines.
Vous n’avez pas peur que vos enfants fassent leur vie aux Etats-Unis?
Non, pas du tout. Ils feront ce qu’ils veulent! L’un est attiré par la culture française, l’autre par la culture américaine… on fera en fonction des envies de chacun.
Qu’est-ce qui vous manque le plus de Paris?
Ma mère. Ma soeur Lou [Doillon]. Mon passé.
Et vous entretenez quel rapport avec Paris aujourd’hui?
C’est compliqué. Petite j’ai été séduite par les clichés d’après-guerre de Paris, tels qu’on les voit dans le film La Petite Voleuse, de Claude Miller, dans lequel j’ai joué, à 17 ans. C’est un Paris qui n’existe plus. J’ai eu différentes vies à Paris, qui se sont arrêtées brutalement. Celle jusqu’à la mort de mon père à mes 19 ans. Ma relation avec ma soeur… des avant et des après. Je suis partie, peut-être égoïstement, mais j’avais besoin de penser à moi.
Vous reviendrez?
Oui, j’en suis sûre. Mais peut-être que j’irai ailleurs… Ici, je me sens moi-même. Le voyage m’a réveillée.
C’est agréable?
Oui, je revis.
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