Un nouveau look, un album qu’elle peaufine, une vie incognito à New York, un film d’après la Promesse de l’aube de Romain Gary, ses recettes de famille… L’artiste se livre le temps d’une séance photo.
Publié par Madame Figaro, le 27 janvier 2017. Photo Markus Pritzi/Réalisation Leïla Smara
C’est une poupée au teint de lys, qui cache un tempérament d’héroïne rock. Tout est contraste dans les traits de Charlotte Gainsbourg. Le spleen de son regard de miel et la malice de son sourire. L’aigu de son menton et la fermeté de sa mâchoire. La douceur de sa voix et son franc-parler abrupt, plein d’auto-ironie. Cheveux courts, jean noir et tee-shirt vintage, elle fascine par sa beauté, sa vulnérabilité assumée, ses éclats de rire, ses questionnements. Installée à New York depuis deux ans, Charlotte Gainsbourg semble aller à l’essentiel.
Assise sur un canapé en cuir dans un studio photo parisien, elle raconte la genèse de son prochain album, parle du plaisir qu’elle a éprouvé à jouer dans le très attendu la Promesse de l’aube, adaptation de l’autobiographie de Romain Gary, réalisé par Éric Barbier, avec Pierre Niney (1). Tour à tour rêveuse et d’une grande lucidité, elle évoque des souvenirs d’enfance, ses passions, mais aussi ses retrouvailles avec la maison Gerard Darel -« J’avais déjà été leur égérie » -, avec ce look qui n’est pas sans évoquer l’élégance insolente de son père et le charme androgyne de sa mère, l’icône Jane Birkin.
Madame Figaro .- Quel regard portez-vous sur votre choix de vivre à New York deux ans après ?
Charlotte Gainsbourg. – Quand ma sœur (la photographe Kate Barry) est morte, j’ai ressenti le besoin de m’éloigner et j’ai embarqué tout le monde avec moi… New York est la destination que j’ai choisie avec Yvan (Attal, son mari), parce que c’était le plus simple. Je vis à TriBeCa avec mes deux enfants. Yvan fait des allers-retours, et mon fils (de 19 ans) est en Angleterre. Voilà, je n’ai pas de grandes analyses à livrer. Ça commence à me gêner qu’on ne me parle que de mon déménagement. Je n’avais pas le fantasme de New York… Petit à petit, je suis tombée amoureuse de cette ville. Je m’y suis construit une vie normale, plus anonyme, car on me reconnaît rarement dans la rue. Mais je ne me sens pas du tout comme la porte-parole de la Parisienne à New York. (Rires.) Et il n’y a rien de gravé dans le marbre… Je serais prête à tout quitter demain.
Certains rôles peuvent vous mettre un peu mal à l’aise, mais c’est ce que je recherche !
Vous incarnez la mère de Romain Gary dans la Promesse de l’aube. Qu’est-ce qui vous a fascinée dans ce personnage ?
Ce rôle résonnait beaucoup en moi : elle était polonaise et je suis d’origine russe… J’ai appris le polonais pour ce film dans lequel je joue en français, mais avec cet accent à couper au couteau. Un accent qui ressemblait tellement à celui de ma grand-mère paternelle ! La force de cette femme me renvoyait à elle. Et il y avait tout de même quelques similitudes dans leur façon de porter aux nues leurs fils. (Rires.)
Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage ?
J’ai adoré le côté extrêmement physique de ce film. J’incarne cette femme de l’âge de 35 ans à ses derniers jours. Je me suis retrouvée dans le rôle d’une grand-mère, avec une lourdeur, des seins. C’est un film d’époque et j’ai aimé jouer avec les costumes, les perruques… Il n’y avait plus rien de moi ! J’ai pu me déguiser comme personne ne me l’avait jamais demandé jusqu’ici… À part Lars (von Trier), un peu. Le côté très abrupt qu’il voulait de moi était une forme de déguisement.
Vous êtes une femme très ancrée dans la vie, la famille, alors qu’au cinéma on vous a vue incarner des personnages extrêmes, pas toujours faciles à interpréter…
Mais il n’y a rien de difficile… Le métier de comédienne n’a rien de compliqué. Si on aime être acteur, on a du plaisir à aller dans tous les sens. Le plaisir vient justement parce que c’est extrême. Certains rôles peuvent vous mettre un peu mal à l’aise, mais c’est ce que je recherche ! Je ne vais donc pas me dire : « Oh, j’ai été tellement courageuse de faire tel ou tel choix. » Non ! C’est merveilleux de travailler avec des gens qui vous inspirent. Et puis, dans mes films prétendument périlleux, il n’y a que Lars. Avec lui, il y a toujours une prise de risque, une forme de provocation qui m’amuse énormément. Sincèrement, je ne me sens pas très courageuse. (Rires.)
Pourtant, à la sortie de votre dernier album Stage Whisper, vous nous parliez du courage qu’il vous fallait pour vaincre votre peur de la scène…
Ah oui ! Mais la scène, c’est différent. Ce n’est pas naturel pour moi… Je me force, mais je me sens encore terriblement crispée. J’espère un jour y prendre plaisir. Mais pour l’instant, ce n’est que de la pression. Je ne me sens franchement pas chanteuse…
Que signifie être chanteuse pour vous ?
Avoir une vraie voix, la maîtriser. Ou posséder une personnalité très forte, quelque chose d’assumé. Moi, ce n’est pas assumé. Il y a un vrai manque de légitimité : je ne suis pas chanteuse, donc je fais semblant… Je joue sur la fragilité, le souffle, la brisure, mais je me juge trop vite, ça me freine.
Pourtant, votre talent musical est unanimement reconnu…
Sans doute, mais je me pose encore des questions. Ce qui ne m’empêche pas d’avancer. En ce moment, je finis un album, mais je me demande si je suis assez satisfaite pour sortir l’objet tel qu’il est ou s’il faut que je le retravaille encore… (Rires.)
Quelles sont vos dernières passions ?
J’ai développé un appétit pour les séries… J’ai adoré The Crown, sur la reine Elizabeth II. Et aussi des séries documentaires basées sur des histoires réelles, comme The Staircase, l’histoire d’un homme accusé d’avoir tué sa femme. Jusqu’au bout, on ne sait pas s’il est coupable ou innocent… On suit tout le procès : c’est étonnant et palpitant, très voyeur aussi. Et puis il y a The Jinx : The Life and Deaths of Robert Durst, porté par un personnage fascinant… Là encore, on ne sait pas si on est face à un monstre ou à une victime.
Vous aimeriez jouer dans une série ?
Oui ! Je trouve qu’aujourd’hui, on est très portés par cette structure, ce type d’ossature… Et je suis moins obsédée par le cinéma : j’en fais moins, j’y vais si c’est exceptionnel…
Quelles sont vos lectures ?
Je suis en train de lire Conversations With Billy Wilder, de Cameron Crowe. J’ai une passion pour Billy Wilder. En ce moment, j’ai besoin d’entrer dans des univers réalistes. Je lis aussi Monsieur Proust, que j’adore, de Céleste Albaret, la gouvernante qui travailla à son service et qui décrit ses moindres gestes – la façon de prendre son croissant, de poser le lait… C’est tellement visuel que ça m’a rappelé mon père. Pas les années de mon enfance, mais celles où il vivait aidé par son majordome. J’ai l’impression de le revoir, avec des habitudes de vieux garçon. Ça me touche énormément…
Vous avez aussi hérité de votre mère la passion de faire la cuisine ?
C’est drôle. Avant, j’étais vraiment en lutte contre l’image de la femme à la cuisine. Je parle du temps où j’ai rencontré Yvan, à 19 ans ! Je ne voulais pas me voir dans ce rôle. Seulement, j’ai réalisé que je ne savais même pas faire cuire un œuf… Ce sont les recettes qui m’ont guidée. Ma mère et ma belle-mère aussi ! J’ai retrouvé leurs savoir-faire, mais il m’a fallu lire des manuels de cuisine comme une écolière.
Vous n’improvisez jamais ?
Ce serait mon but. J’admire ma mère qui improvise sans complexes : dix personnes débarquent et tout sort du fourneau en même temps. La mère d’Yvan est pareille. Je suis fascinée par leur virtuosité. Moi, je note sans cesse. Je suis folle, obsessionnelle : je pèse tout quatre fois… J’en ôte un peu, j’en remets jusqu’à ce que ça soit parfait… Mon père avait ce côté maniaque ! Je l’ai vu suivre des recettes : pendant deux jours, il fallait préparer, mariner… C’était à la fois très simple et d’une sophistication extrême.
Et vous, votre plat préféré ?
Ma signature ? (Éclat de rire…) Le problème, c’est que dans ma famille ils aiment tous des choses différentes. Ce qui les réunit, ce sont les macaronis cheese. Je le tiens de ma mère. Mes enfants adorent aussi les œufs Bénédicte. Et je suis à fond dans la cuisine japonaise…
Comment s’est renouée votre collaboration avec Gerard Darel ?
Ça s’est fait naturellement… Danielle Darel avait repris la marque. Elle m’a appelée pour me demander si je souhaitais de nouveau collaborer avec la maison. Nous nous sommes revues, et elle a adoré ma nouvelle coupe de cheveux. J’ai accepté. J’étais portée par le souvenir d’une collaboration plus qu’amicale. J’ai vraiment une grande tendresse pour elle.
Comment définiriez-vous votre style ?
Je ne le définis pas. Je tente d’être en harmonie avec qui je suis. Mes cheveux, par exemple : j’en avais marre. Ça faisait longtemps que je songeais à les couper. Je me sens mieux comme ça. C’est comme si j’avais cherché à être quelqu’un d’autre avec mes cheveux longs. Ce n’est qu’une coupe de cheveux, mais je me sens plus… moi.
(1) La Promesse de l’aube, réalisé par Éric Barbier, en salles le 1er novembre.