propos recueillis par Katell Pouliquen, publiés dans L’Express du 22/06/2006
En exclusivité, la comédienne et chanteuse dévoile une autre facette de sa personnalité
Du style, du charme. Mieux, la grâce absolue. Charlotte Gainsbourg a accepté, à l’occasion des séances photo pour lesquelles elle vient de poser, en vue de la prochaine campagne publicitaire de Gérard Darel, et dont nous publions en avant-première les images prises en coulisses, de se prêter au jeu de l’interview sur la mode. Confidences d’une jeune femme qui voue un culte à la discrétion…
Comment êtes-vous venue à la mode? Par le cinéma?
C’est sur L’Effrontée puis La Petite Voleuse, de Claude Miller, et grâce à la costumière Jacqueline Bouchard que j’ai découvert le plaisir de m’habiller. Elle m’a fait porter des vêtements usés, j’ai adoré. Je ne me suis plus vêtue que de fripes pendant des années. Je ne supportais aucun vêtement neuf, tout était trop raide, sans patine. J’aimais l’idée que d’autres avaient habité mes tenues. Vers 15-16 ans, je passais tous mes week-ends aux puces de Clignancourt, je n’étais pas du tout branchée mode, mais j’avais une idée précise de ce que je voulais: un style années 1940. J’achetais des petits chemisiers, pas tellement de jupes. J’ai piqué tôt les jeans de ma mère…
Au parc de Saint Cloud, dans les coulisses de la séance photo pour la marque Gérard Darel
Vous aviez donc un style très affirmé?
Oui. Mais je n’étais pas à l’aise. Aujourd’hui, les filles de cet âge sont bien plus sûres d’elles, elles ont moins de pudeur! Moi, je faisais très gamine, je n’avais pas de formes… Je ne cherchais pas à me cacher, seulement à me mettre en valeur à ma façon. Pas vraiment en jouant sur la séduction, mais un truc un peu comme ça… J’étais plus à même de me déguiser que maintenant, d’avoir un style un peu emprunté pour un jour.
«Difficile de trouver une tenue qui me plaise et qui m’amuse, aussi!»
Vous êtes l’image de Gérard Darel. Le fameux photographe Mario Testino est une nouvelle fois l’auteur de ces campagnes. Sous son objectif, vous sentez-vous une icône de mode?
Je ne me considère pas comme une icône; de mode, encore moins… Je ne suis pas une acharnée des défilés et des magazines. Mais ça me flatte de faire des photos avec un grand artiste tel que lui, d’autant plus que nos séances sont très amicales. Mario est un comique! Il fait le clown pour me détendre, il se ridiculise, il me ridiculise… On ne se prend pas très au sérieux.
Choisissez-vous les tenues dans lesquelles vous posez?
Plus ou moins, oui. L’équipe est très respectueuse de ce que je suis. Je ne me sens jamais déguisée. De toute façon, quand cela ne me plaît pas, je suis trahie par ma tête toute crispée! Mon vêtement favori de la prochaine collection est une blouse blanche un poil romantique, avec un très discret petit jabot. Je l’ai gardée après la séance photo. Je suis assez gâtée…
La séance photo a eu lieu en mai dernier sous un ciel de septembre… adapté à la collection automne-hiver
Aujourd’hui, que portez-vous au quotidien?
J’ai tendance à ne pas changer du tout! J’ai un style, je n’en sors pas. J’ai eu longtemps un imper Burberry qui me plaisait beaucoup, je pouvais me cacher derrière, c’était mon bouclier. Je l’enfilais sur un jean pattes d’eph’ avec de vieilles bottines. J’ai porté cette panoplie tous les jours pendant trois-quatre ans et, récemment, je m’en suis un tout petit peu lassée. Mais c’est difficile de trouver une tenue qui me plaise tant et qui m’amuse, aussi!
Vous mettez des robes, parfois?
Jamais. J’ai souvent des envies de robes, des désirs d’allure très féminine, anti-ado. J’en achète chaque saison, je dois en avoir une vingtaine, flambant neuves! Dans la cabine d’essayage, j’y crois, je me dis que je vais faire l’effort de la mettre, et puis non! [Rires.] Je suis bien obligée de me rendre à l’évidence: par rapport à l’image idéale que j’ai d’une fille en robe, je suis plus androgyne. Donc, ça ne va pas. J’ai l’impression de jouer à la poupée et, finalement, ma poupée est toujours en jean! Je crois aussi que je ne suis jamais «disponible» dans ma tête pour porter une robe. Je ne me sens pas très libre à Paris. Trop regardée. C’est embarrassant. Alors, j’ai choisi la solution la plus simple: ne pas attirer le regard.
Quand vous tournez un film, vous êtes libérée de ce genre de tourments…
Ça me repose! On choisit à ma place. Souvent, je joue avec mes propres vêtements, comme dans le film de Michel Gondry [La Science des rêves, sortie le 16 août). C’est moi et pas moi, mais c’est agréable d’avoir des petits repères, c’est rassurant.
La féminité, le côté «sexy»: comment concevez-vous ces notions?
Bien sûr, il y a des filles pulpeuses que je trouve sexy. Et il y a aussi des filles plates comme moi que je juge très sexy! Ça peut se nicher ailleurs que dans la chair: dans une grâce… Kate Moss est fine et pourtant très sexy.
Quand vous vous mettez sur votre trente et un, à quoi ressemblez-vous?Je fais rarement des efforts. Je sors peu de chez moi, je ne suis pas mondaine. Il m’arrive de m’habiller pour un dîner avec Yvan [Attal, son mari, NDLR]. Je peux porter des talons – pas trop hauts – un maquillage léger… Je fais un peu gaffe, mais personne ne doit le remarquer. Je n’aime pas quand on voit les efforts. Je déteste être remarquée. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas envie de séduire… Mais pour ce que je suis, moi.
Charlotte Gainsbourg est maquillée par Tom Pécheux et coiffée par Julier d’Ys
Vous portez des bijoux?
Non, sauf deux, qui ne me quittent jamais: une montre offerte par Yvan et un pendentif en diamants, cadeau de Claude Berri. Je suis bien entourée!
Vous êtes souvent habillée par Nicolas Ghesquière pour Balenciaga lors des soirées officielles. Pourquoi lui?J’aime ses silhouettes modernes, j’ai plaisir à porter ses vêtements, qui semblent faits pour des filles longilignes et plates comme moi. Et Nicolas me plaît humainement, il me rassure. Il y a deux mois, je l’ai sollicité pour m’aider à façonner une autre image de moi à l’occasion de mon album 5: 55 [avec Air, sortie le 28 août]. Pour sortir du trench beige sur jean pattes d’eph’. Il m’a conseillé des pantalons très moulants, des slims que j’ai achetés en noir, gris et jean. Je les porte avec des chemises et des petites vestes courtes et cintrées. Je ne veux pas me transformer – je ne suis jamais sûre de mes changements de style – mais je me laisse guider.
Votre mari vous conseille-t-il aussi?
Oui, c’est un juge assez critique, que j’ai intérêt à écouter si je veux lui plaire un tout petit peu! Il n’aime pas la vulgarité: les talons trop hauts ou un look trop mode, pas assez simple. C’est pourtant lui qui m’avait demandé de lâcher mon allure d’ado attardée en tee-shirt et baskets! A l’époque, j’ai fait l’effort de trouver des talons, les fameuses bottines…
Qui incarne, selon vous, l’élégance au féminin?
Audrey Hepburn, c’est l’élégance absolue. La grâce et le raffinement, sans le côté sexy. Marilyn Monroe est, à mes yeux, une image inégalée non pas d’élégance, mais de grâce et de féminité, avec une magie qui lui était propre. Quant à Gena Rowlands, ce n’est ni la grâce ni l’élégance, mais une féminité parfaite doublée d’une fragilité.
Quelle serait votre icône androgyne?
[Long silence.] Ma mère, quoique je ne l’associe pas seulement à une image androgyne. Elle a peu de poitrine, mais de vraies fesses de femme. Que je n’ai pas, malheureusement!
Et l’élégance au masculin, comment l’aimez-vous?
Je m’en fous un peu, de l’élégance masculine… Les hommes qui me séduisent ont une beauté qui a trait à la virilité. Pas forcément avec des muscles apparents: la virilité, c’est une forme de violence, mais cachée. C’est le contraire de l’idée du puceau! [Rires.] Je ne suis pas vraiment attirée par le genre grand ado blond, par l’angélisme au masculin. En fait, j’aime une forme de négligence chez l’homme, ou l’apparence de la négligence, en tout cas… Je suis très influencée par l’image de mon père, le côté grisonnant, barbe pas rasée… J’avance en fonction de ça. C’est une référence, un personnage unique avec un style particulier, un négligé étudié qui lui était propre.
Conseillez-vous Yvan Attal sur ses vêtements, comme lui le fait pour vous?
Oui, mais il n’en tient pas toujours compte. Il porte encore un jean d’ado que je déteste, ou d’affreuses chemisettes qui me hérissent. Je l’aime en pull ras du cou sans rien en dessous, et en chemise à manches longues, vraiment longues! [Rires.]
Vos grand-mères, l’Anglaise et la Russe, vous ont-elles initiée à l’élégance?
Ma grand-mère de Londres, énormément! Elle promenait sa silhouette chic dans son quartier de Chelsea; c’était une grande coquette! J’aurais adoré avoir sa garde-robe, mais je n’ai pas osé fouiller dans ses vêtements après sa mort. Quant à ma grand-mère russe, on ne parlait pas de vêtements ensemble, elle était une mamma déjà âgée lorsque je l’ai connue, avec ses grands chemisiers et ses seins lourds. Elle incarnait pour moi toute la poésie et la mélancolie de la Russie.
Et votre mère, quel rôle a-t-elle joué dans votre quête de style?
Elle ne m’a jamais guidée, mais elle est de bon conseil. Quand j’ai un doute, je la sollicite. A ses côtés, j’ai associé la beauté au naturel. Je l’ai tellement entendue dire: «Qu’est-ce que c’était moche, mon maquillage outrancier des années 1960! »
Parlez-vous de mode avec vos sœurs, Kate Barry et Lou Doillon ?
Kate m’a énormément influencée, car elle s’y connaît vraiment en mode, elle m’offre des vêtements de créateurs à Noël et m’a fait découvrir Helmut Lang, Marni, Dries Van Noten, bon nombre de Japonais. Quant à Lou, elle a un style très personnel, je l’admire beaucoup pour cela. Elle a une excentricité sincère, elle s’amuse. Elle n’est pas complexée par son corps, ça lui permet une grande liberté.
Comptez-vous initier votre fille, Alice, qui n’a encore que 3 ans et demi, aux secrets du style?
J’espère surtout qu’elle sera à l’aise. Cela dit, ce n’est pas que négatif d’être complexé! Ce n’est pas un mal d’être discret, d’avoir de la pudeur…