«J’avais envie de raconter ma vision d’enfant» : Charlotte Gainsbourg fait visiter la maison de son père en avant-première (Madame Figaro)

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Longuement repoussée, l’ouverture de la maison de Serge Gainsbourg est prévue le 20 septembre à Paris. Visite en avant-première, suivie d’une rencontre avec Charlotte Gainsbourg.

Par Marion Géliot, Madame Figaro, 14 septembre 2023

Bouleversés. Sur le trottoir du 5 bis, rue de Verneuil, dans le VIIe arrondissement de Paris, les quelques privilégiés qui ont pu entrer dans la Maison Gainsbourg sortent particulièrement émus de leur visite. Resté en l’état depuis la mort de Serge Gainsbourg en 1991, le lieu mythique, où l’auteur culte a vécu vingt-deux ans, était jusqu’alors la propriété de sa fille, Charlotte Gainsbourg, qui venait s’y réfugier de temps en temps. L’hôtel particulier de 130m2 se visite désormais seul ou à deux seulement, avec un maximum de 10 personnes en même temps dans la maison.

Après avoir hésité à la vendre, à y habiter, à la transformer en une sorte de nouvelle Villa Médicis pour les artistes, l’actrice a finalement décidé d’ouvrir cette adresse au public. Mieux, elle va jusqu’à présenter l’endroit à travers ses souvenirs d’enfance et en guidant le visiteur pas à pas, à l’aide d’un audioguide géolocalisé. «Au tout début, je me suis dit, comment visiter la rue de Verneuil ? Je pensais en silence car c’est comme ça que je vivais ce lieu depuis la mort de mon père et je ne voulais pas qu’il y ait sa voix, que cela fasse fantôme. J’avais envie de raconter mes souvenirs, ma vision d’enfant», raconte Charlotte Gainsbourg lors d’une table ronde organisée après la visite. «C’est comme si aujourd’hui je m’étais donné l’exclusivité. Je voulais être plus modeste au départ : j’avais dit à ma mère, Jane Birkin, que ça serait bien qu’elle fasse la voix d’une visite elle aussi, tout comme Bambou et peut-être même des gens qui avaient travaillé avec lui… Mais elle m’a dit que c’était vieux pour elle et que ce projet c’était mon truc à moi. »

Façade de la rue de Verneuil. Alexis Raimbault.

Des milliers de trésors

Au total, 25 000 objets ont été exposés entre le salon, la cuisine, la chambre de Jane Birkin, rebaptisée après sa séparation avec le musicien «la chambre des poupées», le dressing, la salle de bains, ou encore la chambre à coucher où Serge Gainsbourg a été retrouvé mort le 2 mars 1991. «Sébastien Merlet, qui assure le commissariat scientifique de Maison Gainsbourg et Anatole Maggiar, le directeur des contenus et de la programmation, ont réalisé un travail d’archéologues et j’ai découvert énormément de choses grâce à eux, explique Charlotte Gainsbourg. C’était même parfois compliqué car ils me donnaient tout à voir, à valider, à regarder alors que je n’étais parfois pas prête du tout. J’ai encore un rapport très épidermique avec mon père et son œuvre, j’ai par exemple longtemps refusé d’écouter ses chansons, regardé ses vidéos… Il m’arrivait même de faire semblant de savoir ce que Sébastien et Anatole me racontaient ou de faire semblant de lire les documents qu’ils m’apportaient. J’adore savoir des choses sur mon père mais je ne veux pas qu’on me les impose, c’est pour ça que je n’ai encore jamais lu une de ses biographies.» Si l’actrice et réalisatrice est propriétaire des lieux, elle s’est assurée, pour chaque décision importante, que les trois autres enfants de Serge (Natacha et Paul, nés de l’union de Serge Gainsbourg avec Françoise-Antoinette Pancrazzi et Lucien, le fils que le chanteur a eu avec Bambou) étaient d’accord avec elle.

Néon de la Maison Gainsbourg. Alexis Raimbault

Serge vu par Gainsbourg

La visite se poursuit dans le musée situé en face, au numéro 14. Parmi la sélection de milliers d’objets, 3500 manuscrits précieux ont été retrouvés, comme une lettre de Jacques Prévert adressée à Serge Gainsbourg l’autorisant à utiliser son nom pour une de ses chansons, ou encore un billet de banque signé de la main de Francis Bacon, un dessin de Dali… En face des manuscrits, des couvertures de magazines et de documents inédits exposés, trois écrans géants reprennent des images et des interviews de Serge Gainsbourg. Chose rare et appréciée : l’artiste est donc quasiment le seul à se raconter dans ce musée.

Les visiteurs sont ensuite invités à découvrir une librairie-boutique et un café piano-bar baptisé Le Gainsbarre. Le musée, comme la maison, sont amenés à évoluer pour inciter les visiteurs à revenir, mais aussi pour protéger les œuvres. Charlotte Gainsbourg a tout gardé, et si elle ne se sent pas encore libérée d’un poids avec cette ouverture, elle est heureuse de l’avoir fait pour ses enfants et pour pas ne reporter la responsabilité de cette maison sur eux. N’a-t-elle pas eu l’impression de trop se dévoiler avec cette maison ? «Je vis avec un côté impudique depuis toujours. On a ça dans notre famille et je pense que je ne peux pas faire autrement. De toute façon, j’ai l’impression que tout le monde sait tellement tout sur mon père que je n’ai pas le sentiment de révéler des secrets à travers ce lieu. En revanche, j’ai l’impression que cela donne une autre vision de son travail, de son quotidien, et je trouve incroyable que quelqu’un de cette envergure ait une maison avec une si petite cuisine et des plafonds si bas. À l’époque, cela me paraissait normal, mais aujourd’hui avec des artistes qui ont parfois la folie des grandeurs, je réalise à quel point il était modeste.»

Celle qui a tenu seule cette maison pendant 19 ans avait dit à sa mère dans son film, Jane par Charlotte, que l’ouverture de la rue de Verneuil serait la fin de quelque chose. Verdict ? «C’est effectivement la fin de quelque chose mais avec la mort récente de ma mère, cela fait un peu beaucoup pour moi… Je ne veux pas encore me le formuler comme ça. J’ai hâte que Maison Gainsbourg ouvre, que les gens soient heureux, émus, que ce soit réussi et que cela me donne raison d’avoir fait ça. »

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