5 bonnes raisons d’aimer Charlotte Gainsbourg (L’Express Styles, 22 janvier 2014)

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A l’occasion de la sortie de « Nymphomaniac Part 2 » et « Jacky au royaume des filles » L’Express Styles consacre sa couverture à Charlotte Gainsbourg.  Gilles Médioni a rencontré Charlotte qui livre quelques confessions. La magnifique photo de couverture est signée Kate Barry / H&K

Charlotte Gainsbourg par Kate Barry / H&K pour L'Express Styles

Dans Nymphomaniac, de Lars Von Trier, elle impressionne une fois encore par son jeu et ses audaces. Rencontre avec une comédienne, chanteuse et icône simple, douce et vibrante.

1. Elle relève tous les défis de Lars Von Trier

Ensemble, ils ont tourné trois films, et pas des moindres. Antichrist, cauchemar nietzschéen insaisissable autour d’une mère déchirée par la mort de son enfant, lui a valu un prix d’interprétation au Festival de Cannes en 2009. Dans Melancholia (2011), elle incarnait la soeur positive et rationnelle d’une Kirsten Dunst dépressive sur fond d’apocalypse.

Avec Nymphomaniac, volumes 1 et 2, elle plonge dans l’odyssée de Joe, une nymphomane qui confesse son parcours érotique, de son enfance à la cinquantaine, à un vieil homme, Seligman (Stellan Skarsgärd). « Par le biais de la sexualité, et de l’addiction au sexe, Lars décrit profondément un personnage très âpre, très cynique, très noir, pris dans ses contradictions et sa difficulté de vivre », analyse Charlotte Gainsbourg.

Elle ajoute : « Joe ne croit pas aux êtres humains, elle les condamne tous, y compris elle-même. Ce trouble profond cache évidemment autre chose. C’est très particulier et très original de parler d’une femme par ce biais et, pour Lars, de se révéler autant. » Car Joe – et Seligman -, c’est bien sûr Lars Von Trier. Nymphomaniac est illustré par des scènes de sexe explicites jouées par des doublures.

« Lars se sert de ces provocations, commente Charlotte. Ce sont ses outils. Audelà de la provoc des images de cul, je trouve très bien qu’il ait eu envie de montrer la chair, dans sa beauté crue. Il n’allait pas être prude, cela n’avait aucun intérêt. » Charlotte a failli ne pas jouer Nymphomaniac. « J’étais éprouvée par un deuil. Lars voulait que je reste, et il m’a aidée en m’accompagnant le plus possible. De plus, à l’époque, j’allaitais ma fille et je passais d’un univers idyllique avec mon bébé, à un autre, noir et sulfureux. » …/

2. Une Charlotte en cache une autre… toujours différente

Car on l’attend dans six films en 2014, tous à l’opposé les uns des autres, dont Samba, la nouvelle comédie d’Eric Toledano et d’Olivier Nakache (Intouchables), Everything Will Be Fine, de Wim Wenders, avec James Franco, et Trois Coeurs, de Benoît Jacquot, aux côtés de Catherine Deneuve et de Benoît Poelvoorde.
Mais, tout de suite, c’est dans Jacky au royaume des filles (en salles le 29 janvier) que l’on retrouve Charlotte Gainsbourg. Riad Sattouf, le réalisateur des Beaux Gosses, a imaginé un pays dominé par les femmes, où les hommes portent le voile. L’un d’eux, joué par Vincent Lacoste, est amoureux de la Colonelle, héritière de la République démocratique et populaire de Bubunne : Charlotte Gainsbourg en uniforme, droite dans ses bottes.
« La rigidité du personnage était intéressante, dit-elle, et son ambiguïté m’amusait beaucoup. C’est un rôle secondaire et, à la fois, la Colonelle est toujours présente à travers les portraits d’elle plaqués sur les murs. » « J’ai pensé à Charlotte parce qu’elle n’a jamais peur d’y aller franco et pour la noblesse de son jeu, explique Riad Sattouf. Charlotte est timide dans la vie mais elle exprime énormément devant la caméra, c’est souvent l’inverse avec les comédiens. »

3. L’actrice a gagné ses galons de chanteuse

Une voix murmurante, mais qui enveloppe et qui cogne, forte, puissante. « Tellement douce, et capable de crier sa souffrance en un chuchotement », comme l’a décrite Romain Duris – ils ont joué ensemble dans Persécution (2009), de Patrice Chéreau. Madonna ne s’y était pas trompée : elle avait samplé, dans son titre What It Feels Like For a Girl (2000), un extrait de dialogue du film The Cement Garden (Andrew Birkin).

Charlotte est une actrice qui chante, comme son père les aimait. D’ailleurs, on l’entend fredonner Hey Joe, pendant le générique de fin de Nymphomaniac. Une version arrangée par Beck, qui apporte la Gainsbourg touch au standard du rock et rejoint celles de Jimi Hendrix, de Patti Smith, de Willy DeVille ou d’Alain Bashung. « J’ai enregistré une prise que je jugeais trop douce et enfantine, puis une seconde, plus volontaire, qui me plaisait. Mais Lars et Beck ont préféré la première. Je me suis inclinée », dit-elle en souriant.

Charlotte compte dans la chanson depuis son album 5:55 (2006), signé notamment par Air et salué par la critique, vingt ans après ses débuts, avec Charlotte For Ever. Elle y confiait ses insomnies, la valse des jets, la solitude des chambres d’hôtel. Et signait un texte sur le fantôme de Serge, Morning Song. Depuis, elle a enchaîné les disques, IRM (2009) avec la complicité de Beck, Stage Whisper (2011), et les tournées internationales avec Connan Mockasin et ses musiciens.

Ces temps-ci, elle devait enregistrer un nouvel album. « Oui, je devais… J’ai exploré plein de pistes en pensant avoir des certitudes, je n’en ai finalement aucune. C’est aussi un moment où je me sens flotter, j’attends d’atterrir un peu, d’avoir davantage les pieds sur terre… » Paul McCartney lui a offert une chanson. »Je l’admire beaucoup. J’ai demandé à le rencontrer, on a déjeuné dans un petit hôtel, à Londres, j’étais enceinte jusqu’aux dents et, quelques jours après, il m’envoyait ce morceau. Je suis gênée de ne pas l’avoir encore enregistré, mais je ne voulais pas le présenter tout seul. J’attends d’être embarquée dans un disque. »

4. Le couple qu’elle forme avec Yvan Attal nous touche

Il lui a demandé publiquement sa main, en juin dernier, alors qu’il recevait les insignes de chevalier de l’Ordre national du mérite, soit vingt-trois ans – et trois enfants – après leur rencontre, sur le tournage d’Aux yeux du monde, d’Eric Rochant (1990). Yvan Attal lui a offert des rôles dans chacun des trois films qu’il a réalisés, des personnages de comédie, un registre rare pour Charlotte et dans lequel, pourtant, elle excelle. Ma femme est une actrice (2001) racontait la jalousie des maris des stars.

Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants (2004) auscultait le tournant des hommes, à la quarantaine. Et, dans Do Not Disturb (2012), elle formait un couple avec Asia Argento. Charlotte révèle sa part comique, et leur complicité est palpable à l’écran. « Charlotte a deux profils, a noté Jane Birkin. Le port de tête aristocratique, la pudeur des sentiments, c’est Serge. La déconnade, c’est moi. Elle est extrêmement drôle à vivre. »

« Yvan m’a incitée à choisir le ton de la comédie, appuie Charlotte. On se connaît par coeur. Il veut me faire plaisir et s’amuse aussi en me confiant des rôles très à part. Il n’y a pas beaucoup de metteurs en scène qui ont envie de s’amuser avec moi. » On les retrouvera tous les deux dans Son épouse, de Michel Spinosa (sortie le 12 mars) : « Après Nymphomaniac, c’est encore un personnage très noir. J’aime alterner ce genre de films avec des comédies. »

5. C’est l’éternelle fiancée de la France

Son enfance a été photographiée dans les magazines. A l’adolescence, elle a été propulsée dans le show-biz grâce à Lemon Incest (1984), son duo avec Serge Gainsbourg – elle a 13 ans. Puis en remportant le césar du meilleur espoir pour L’Effrontée, en 1986 – elle a 14 ans. Au fil des décennies, Charlotte Gainsbourg a gardé ses distances avec la presse people, restant, comme l’a définie Lou Doillon, « mystérieuse, mystique ». Mais elle s’est dévoilée toute en ombres et surprises au fil des rôles et des chansons.

Sur l’album IRM, par exemple, des samples de sons d’IRM témoignaient de l’hémorragie cérébrale dont elle avait été victime en septembre 2007. « Avant de me lancer dans cet album, j’étais obnubilée par la peur de mourir. Ces IRM passées à la chaîne m’ont rassurée. » A chaque anniversaire de la mort de Serge Gainsbourg, le projecteur se braque sur Charlotte. La figure de son père est pénétrante, elle a même failli l’incarner dans Gainsbourg (vie héroïque), de Joann Sfar. « Mais je n’allais pas faire un film pour m’autoanalyser. Il y a des limites au cinéma. »

Soudées autour du clan Birkin, les trois filles de Jane, Kate Barry, Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon, ont chacune cherché leur place. Lou a même consacré un album à ce thème, Places. Le mois dernier, Kate disparaissait. Lors de ses obsèques, Charlotte a lu un texte de son père : « Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve »…

Charlotte Gainsbourg par Kate Barry / H&K pour L'Express Styles

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