Charlotte Gainsbourg au firmament de Cannes

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Interview de Ghislain Loustalot, Paris Match, Mai 2009

Sur la terrasse de la villa UGC qui domine toute la Croisette, Charlotte Gainsbourg se
pose, sourit, chuchote. Elle est à Cannes depuis trois heures à peine et répond sans
réticence aux questions qu’on lui pose sur « Antichrist », de Lars von Trier, un des films
qui feront le plus jaser durant ce Festival. Cru, violent, porno, angoissant et parfois
drôle, ce face-à-face extrême entre un homme et une femme ne laissera personne indifférent. Et
l’on se demande, en la regardant siroter sa coupe de champagne, comment une jeune femme qui
semble aussi fragile a pu faire des choses aussi terribles.

Paris Match. Lars von Trier a la réputation d’être très dur avec les actrices, de les harceler.
Comment s’est-il comporté envers vous ?
Charlotte Gainsbourg. Je me souvenais de ce que Björk et Nicole Kidman avaient dit de lui après
“Dancer in the Dark” et “Dogville”. J’avais forcément quelques appréhensions, mais, en même
temps, il avait l’air tellement doux et déprimé que j’ai eu envie de tout faire pour l’aider, sans avoir aucune solution à lui proposer quant à ses problèmes. J’étais moi-même dans une période où je n’allais pas forcément très bien non plus. J’avais eu ce problème à la tête, je n’avais pas travaillé depuis longtemps… J’étais très fragilisée, aussi, et j’avais envie d’être vulnérable.

Il dit de vous que vous êtes très travailleuse. L’avez-vous été plus que d’habitude sur son film
?
Non. Le problème, c’est que lui ne donne pas l’impression de travailler. Il n’aime pas répéter, ne
fait pas vraiment de lecture de scénario avant le tournage, ne répond pas aux questions, ne discute pas du film. J’avais donc le sentiment d’être un peu livrée à moi-même. Et puis j’ai eu peu de temps pour me préparer : j’ai été engagée quinze jours à peine avant le début du film. J’ai beaucoup flippé la semaine qui a précédé le tournage. Je me demandais comment ça allait se passer, je me posais beaucoup de questions sur lui. En fait, il pousse beaucoup les acteurs dans leurs retranchements et dans toutes les directions.

C’est-à-dire ?
Par exemple, il m’est arrivé de tourner la même scène en hurlant, puis en pleurant, puis en riant,
tout en sachant qu’il choisirait parmi ces instants pour n’en conserver qu’un seul au montage. Je
n’avais plus aucun repère, et ça me donnait parfois l’impression de faire n’importe quoi. Mais
j’étais vraiment prête à jouer le jeu, à me faire balader dans tous les sens par un réalisateur que
j’admire. Je ne me suis jamais sentie agressée. Souvent mise en danger, mais comme je le voulais, moi.

Qu’est-ce qui vous inquiétait le plus ?
Ce n’étaient pas les scènes de nu ou très osées qui me posaient le plus de problème, mais les scènes d’angoisse parce que je n’en avais jamais eu auparavant, je ne savais pas ce que c’était. Là encore, j’avais besoin de repères et je guettais souvent son approbation. J’avais l’impression de le jouer lui, en fait. Car le rôle que j’interprète, c’est Lars von Trier et personne d’autre !

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film alors que de nombreuses actrices l’avaient
refusé ?
J’ai plongé en lisant le scénario. Il m’a fichu la trouille comme une histoire angoissante peut le
faire. J’ai lu quelque chose de très étrange que je comprenais à moitié, que je n’ai toujours pas
réellement compris, mais c’est très bien aussi que tout ne soit pas explicite.

Cela a-t-il remué des choses en vous ?
Le tournage aura finalement été très libérateur. J’ai eu la sensation de passer deux mois à hurler, à pleurer, à me mettre dans tous les états possibles. Quand nous avons terminé, j’ai été soulagée. J’ai oublié la fatigue en prenant conscience que je n’aurais sûrement plus jamais une autre occasion comme celle-ci dans ma vie. Une telle expérience, c’est très rare.

Quand vous qualifiez le tournage de « libérateur », vous voulez dire à la façon d’une thérapie ?
Pas du tout, parce que je ne me suis pas projetée dans le personnage. D’autant plus qu’il est
question de perte d’enfant, ce qui m’est insupportable. Donc, pas question pour moi d’engager ma vie personnelle dans l’élaboration du rôle.

Les scènes chocs ont-elles été difficiles à tourner ?
Les scènes de nu, non. Les scènes de sexe non plus, mais pour certaines nous avions des doublures, des acteurs qui venaient du porno. Il y a une chose que Lars voulait que je fasse avec un de ces acteurs sans être doublée, mais j’ai refusé.

On dit déjà qu’il s’agit du rôle de votre vie. Etes-vous d’accord ?
Ça voudrait dire que tout est derrière moi, que plus rien ne m’attend ! Disons plutôt qu’il a été une aventure extrême que je ne revivrai pas de sitôt et que je n’aurai peut-être pas envie de revivre, d’ailleurs.

Pensez-vous que vos enfants pourront regarder ce film un jour ?
Sincèrement, non. Je ne peux pas faire réellement de parallèle, mais j’ai vu “Je t’aime moi non
plus” quand j’avais 18 ans. La nudité de mes parents ne m’a pas du tout choquée, au contraire, j’ai trouvé ça sublime. Mais dans “Antichrist”, il y a des scènes très crues et je n’aimerais pas du tout qu’ils voient.

Votre mari, Yvan Attal, a-t-il assisté à une projection ?
Oui, je lui ai demandé de voir le film avant pour savoir s’il voulait bien m’accompagner à Cannes.
J’ai conscience que ce n’est ni très agréable ni très facile pour lui. Mais Yvan est quelqu’un de très généreux, de très affectueux. Quand il s’agit de travail, il est ouvert à tout. Il est d’une grande classe.

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