Charlotte Gainsbourg: «Cannes est un endroit où les gens se permettent des réactions brutales»

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Charlotte Gainsbourg fera l’ouverture du 70e Festival de Cannes mercredi avec Marion Cotillard, Mathieu Amalric et le cinéaste Arnaud Desplechin pour la première de «Les fantômes d’Ismaël».

Par Fabienne Bradfer, Le Soir, le 16 mai 2017


Au « Comment allez-vous ? » répond un tout doux « Ca va ». Charlotte Gainsbourg, cheveux courts et jupe courte, commence l’interview en murmure. Pas celui de l’enfant timide qui débarqua dans le cinéma à 13 ans, plutôt celle d’une femme de 45 ans qui a pris de la distance, s’accommode de ses fantômes ainsi que d’elle-même (enfin, plus ou moins) et ose de plus en plus.

De cette audace jaillit aujourd’hui un film, Les fantômes d’Ismaël, d’Arnaud Desplechin . Parce qu’elle a osé lui écrire combien elle l’admirait. Juste comme ça. Et lui avait justement écrit un scénario avec un rôle pour elle. Celui de Sylvia, compagne d’un cinéaste qui voit sa vie chamboulée par la réapparition d’un amour disparu.
De cette audace viendra un nouvel album en octobre prochain, écrit par elle et en français. Une première pour celle qui s’est toujours sentie pétrifiée par la figure statuaire du père génial. Car, aujourd’hui, elle s’accepte « médiocre » et s’en fout avec une tendresse infinie. Cela lui a même permis de réaliser ses propres clips. Avoir quitté la France lui a donné du courage, des audaces, une liberté nouvelle.

Cannes, le tapis rouge, les belles robes, le glamour, ça vous amuse ?
Oui car j’y vais à l’encontre de la princesse avec sa belle robe de bal : je n’ai jamais eu ce profil-là. C’est un prétexte pour m’amuser autrement. J’ai eu plein d’expériences différentes à Cannes. Je me souviens aussi de ma mère me décrivant la projection de « La Pirate » en compétition comme quelque chose de cauchemardesque, de virulent, de haineux, dès le générique du début. J’ai toujours eu ça en tête. Pour moi, Cannes, c’était un endroit où les gens se permettent des réactions brutales. Après, j’ai eu des expériences plus douces et plus calmes en étant jurée. Avec Lars et « Antichrist », je m’attendais à ce qu’on se prenne des tomates dans la figure, et puis pas du tout. La projection officielle fut super. Tout le monde était hyperattentif. Je n’ai eu que de bonnes surprises avec ce film. Il m’a permis de rencontrer pas mal de journalistes qui étaient convaincus par le cinéma de Lars von Trier qui a son monde à lui. J’étais face à de vrais cinéphiles, des passionnés du vrai monde du cinéma. Et puis, ça s’est mal terminé avec « Melancholia ». Lars s’est un peu saccagé. Mais il est comme ça aussi. Ce n’était pas maîtrisé. Mais il y a une part, sans doute inconsciente, de sabotage. Le vivre de plein fouet, ça m’a fait de la peine pour lui, plus que pour le film, car il existait, il était beau et on était tous fiers de l’avoir fait.

Dans votre filmographie, on se dit qu’il manquait Arnaud Desplechin…
On s’est croisés. Je me souviens du projet « Esther Kahn » et je rêvais de jouer ce rôle, mais il ne m’a pas prise. J’étais hyperdéçue à l’époque. Ensuite, il y eut plusieurs tentatives, où on ne s’est pas retrouvés… Enfin, je ne sais plus combien de temps avant de tourner, je lui ai écrit. Peut-être que c’était le fait d’être loin, aux États-Unis. J’ai eu plus de courage pour faire un geste. C’était pas de lui dire : « Je rêve de travailler avec toi », mais plutôt à quel point je l’admirais. Disons que j’espérais que ça arriverait un jour. Juste comme ça.

Vous faites souvent cette démarche ?
Non, pas du tout. Je l’ai fait avec Pialat. Et Polanski. Enfin, lui, ce n’était pas pour juste demander de travailler avec lui, mais pour lui dire à quel point j’avais aimé un de ses films. Mais non, ça m’arrive très rarement. En tout cas, Arnaud m’a répondu tout de suite qu’il venait de terminer un scénario, où il y avait un rôle pour moi. C’est marrant quand les choses arrivent comme ça, ça paraît accidentel.

Vous croyez au destin ?
Non, mais je crois que les choses arrivent à un certain moment. Je crois aux heureux accidents, aux choses qui tombent à un moment donné. Je ne crois pas vraiment aux choix de carrière, quand on parle d’acteurs et de profession. Ce serait trop beau de pouvoir piocher à ce point. Peut-être que des acteurs ont vraiment des cartes en main mais moi, ça me plairait pas non plus d’être à l’origine de projets. D’abord, j’en aurais pas le courage et ensuite, j’ai besoin du désir de quelqu’un. Faire un appel de pied, oui, au-delà, non.

Que vous a apporté le désir de Desplechin de vous mettre en scène ?
Ça m’a rassurée sur le fait que je pouvais jouer ce rôle. J’étais convaincue d’avoir envie de travailler avec lui, donc, j’ai dit oui avant même d’avoir lu. Mais j’avais peur du rôle, d’un côté trop gentil, trop bienveillant de ce personnage. J’enviais le vice de Carlotta que joue Marion, sa violence… Personnellement, ça me touche plus quand on va dans l’hystérie. Le fait qu’Arnaud me voyait autant dans la peau de Sylvia, je lui ai fait confiance. Il m’a apporté son regard à lui sur le personnage. Moi, je la jugeais un peu bébête, même si c’est très réducteur de dire ça. Je la voyais trop simple à s’éclipser dès que le danger était là. Lui me l’a décrite avec un tel regard de bienveillance, d’amour et d’évidence, que j’ai compris qui je représentais. Ça me suffisait pour l’aimer. Sylvia a plus le profil d’une mère car elle materne beaucoup son amoureux. Il y a quelque chose de cet ordre, que j’ai essayé de respecter… plus ou moins.

Vous avez mis des années à vous débarrasser de l’image de la petite Charlotte de « L’Effrontée », aviez-vous la crainte d’à nouveau l’évoquer ?
Oui et en même temps, je suis contente d’y retourner. Vous avez raison, j’ai fait tellement d’efforts pour l’éviter ! Mais je n’ai pas la colère de l’Effrontée dans ce rôle. C’est une Jeanine qui aurait beaucoup vieilli, comme c’est le cas…

Plus de trente ans après ce rôle fondateur, que vous en reste-t-il ?
Beaucoup de choses. C’est tellement frais. « L’Effrontée » fut ma première expérience pleine, où j’avais un vrai tournage de deux mois, où je n’étais pas en famille. C’était absolument magique. Et j’avais un âge magique. J’étais très infantile. Quand on voit un jeune de 14 ans maintenant… Les 14 ans d’alors équivalent à un 11 ans aujourd’hui. J’avais une vraie naïveté, une vraie innocence, une candeur. Bon, ça me fait un peu grincer des dents quand, parfois, j’aperçois une scène qui passe à la télé, j’ai du mal ! Comme j’ai du mal à me regarder aujourd’hui, ça, ça n’a pas changé. Mais le regard que j’ai sur cette expérience, c’était tellement plein de charme, et de découverte, avec un metteur en scène qui m’a redemandée, c’était le début d’un souffle. Et pour moi, une telle respiration d’échapper à ma famille d’une certaine manière. Je ne le faisais pas d’une manière privée mais ça m’a été très très utile.

Maintenant que vous avez conscience de ce qu’est le cinéma, comment l’appréhendez-vous ?
Peut-être que je m’en rapproche car je me suis détachée un peu du cinéma. Le cinéma se réinvente. Les gens regardent des séries, des miniséries, etc. Il va falloir qu’on s’adapte à une autre manière de faire ce métier. Je ne suis pas aussi curieuse que je l’étais dans mes 20/30 ans. À l’époque de « L’Effrontée », j’avais des yeux neufs. Là, je me sens moins plongée dans le cinéma, moins en attente d’un film qui va sortir, beaucoup plus détendue.

Vous vous libérez plus du cinéma ? Vous sortez bientôt un album…
Pour moi, c’est nécessaire d’avoir des respirations. J’ai ma famille, déjà, pour revenir à certaines réalités. Aller dans la musique est une autre grande respiration. Et le fait d’être ailleurs crée le manque. Je sais ainsi que le cinéma me manquait quand j’en refais. Je ne me rends pas compte du manque quand je sors le disque mais au prochain tournage. Je trouve aussi d’autres respirations quand je fais des photos de mode. Ça a moins d’importance mais ça permet d’aérer la tête.

Une rencontre marquante dans votre carrière est indéniablement Lars von Trier avec qui vous avez tourné trois films. A-t-il modifié votre perception du métier ?
Complètement. Il a une manière tellement unique de travailler… Ça faisait pourtant déjà longtemps que je faisais ce métier mais il a balayé tous mes acquis. Yvan (Attal, son compagnon, NDLR), déjà, me poussait vers ça, d’aller dans le ridicule, dans le lâcher-prise. Oser faire des choses. Lars ne m’a rien demandé d’autre que de tout lâcher, de me confier à lui, sans peur. Et je n’ai pas eu peur. Ça m’a fait plaisir de me dévoiler à ce point, d’aller dans des émotions très sincères, douloureuses. Mais je l’ai fait avec plaisir car je savais qu’entre ses mains, il me transformerait. Il vous met dans toutes les situations, sans pour autant faire tout et n’importe quoi. Non, il cherche une scène de drame, qu’il va jouer en comédie. Il a tout un panel, après il reconstruit un personnage au montage.

On a l’impression que vous vous libérez au fur et mesure de certaines choses… Les années vous rendent plus « légère » ?
Oui, je pense que j’ai beaucoup moins d’angoisses par rapport à moi-même. Ça ne veut pas dire que j’ai plus de confiance en moi. Ça me pose toujours autant de problèmes, et je le regrette. De ne pas être plus stable avec ce que je veux faire, d’avoir toujours mon désir qui vacille aussi facilement. Parce que je me juge, ça c’est encore compliqué. Par contre, d’oser y aller, c’est devenu vraiment agréable mais avec une peur – j’ai toujours peur –, mais l’expérience vaut le coup. J’ai enfin appris un peu…
Il va falloir qu’on s’adapte à une autre manière de faire ce métier

Un grand pas sera l’album, qui sort en octobre, car vous en signez les textes et en français !
Oui, oui ! Ça, c’est totalement autre chose. J’ai compartimenté la musique d’un côté, le cinéma de l’autre. Pour moi, en musique, le fantôme de mon père est encore très présent. Il m’a vraiment inhibé, je le dis avec beaucoup de bienveillance car je sais tout ce que j’ai reçu de lui. Mais son génie a fait que je me sentais pas du tout à la hauteur, vraiment pas. Ce n’est donc pas du même registre, le cinéma, je me le suis approprié beaucoup plus vite. Donc, là, pour écrire des chansons, et pour oser montrer un truc que j’ai écrit qui est sans doute médiocre comparé à ce que mon père a fait, j’ai dû casser pas mal de choses et en accepter d’autres comme d’être médiocre. J’ai pu le faire car aujourd’hui, je m’en fous.

Avez-vous ce même détachement quand vous vous découvrez à l’écran ?
Non. D’abord, je ne regarde jamais les rushes, je ne regarde pas derrière la caméra, même les photos du film, je n’aime pas trop ça. J’aime découvrir le film et que ce soit un choc. Car il n’y a alors que de la surprise. Quand j’ai vu le film d’Arnaud, j’ai eu ce choc. Et je vois à quel point il est talentueux, à quel point il est précis, notamment dans ses choix de prises, de respirations. On sent que s’il monte un plan, c’est qu’il en est fou. Il y a quelque chose de très flatteur aussi, car on fait partie d’un monde qu’il aime durant un temps donné.

Passer à la réalisation vous tente ?
Aujourd’hui, oui. Je n’ai pas cru que ça m’arriverait mais ça me plairait beaucoup, oui. Ça m’est venu par une amie qui m’a convaincue de réaliser mes propres clips. J’en ai fait et je vais en faire 2, 3, 4, 5… En musique, pas mal d’artistes se le permettent, qui deviennent touche-à-tout, qui font des photos… Je me suis dit : oui, effectivement. J’ai un goût pour ça. Après, que je le fasse bien… Mais en tout cas, d’essayer, oui.

Et mettre en scène Yvan Attal ?
Oh oui, et il en chierait ! Et je le verrai plutôt dans un film grave

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