Charlotte Gainsbourg : « C’est compliqué pour moi d’être très positive » (DNA)

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Avec Rest , son cinquième album, Charlotte Gainsbourg s’assume en tant qu’auteur, évoquant ses tourments et ses peines. Avec sa famille autour d’elle, comme un cocon.

Votre nouvel album est plus personnel. Comme si vous aviez osé vous assumer…
Quand je suis revenue à la musique, vingt ans après l’album avec mon père, c’était déjà très personnel, très intime. Mais je me servais beaucoup des sons et des ambiances des musiciens de Air, qui réalisaient l’album, pour trouver une légitimité. Sur ce nouvel album, le producteur Sébastian, m’a tout de suite dit que c’est moi qu’il voulait entendre. Il avait beaucoup écouté l’album avec mon père, et c’est ça qu’il voulait mettre en avant.

C’est-à-dire ?
Il voulait mettre la voix au centre, très en avant. Avec ses défauts, sa fragilité, ses émotions, sans utiliser d’artifice. Ça m’a mis plus à l’aise avec qui j’étais et ce que je pouvais défendre. Je lui avais amené des musiques de film de Kubrick, De Palma ou Hitchcock, que j’écoute depuis l’enfance. Je voulais voir si ma voix, si peu puissante, pouvait se marier à des musiques aussi lyriques.

L’écriture des textes, ça vous a été difficile ?
Oui, ça a été très laborieux. Même si ce sont des textes que j’ai écrits de façon très spontanée, certains n’ont pas bougé depuis quatre ans, il a fallu les mettre en forme, et les adapter à la musique. Par exemple, je n’avais pas de refrain. Il a fallu que je trouve ce truc, de passer à l’anglais pour ces fameux refrains. Donc on avait les couplets en français, plutôt crus et sincères, et les refrains en anglais, plutôt légers et dansants.

Montrer ces textes, les assumer, ce n’était pas un problème ?
Non, j’avais besoin d’être impudique. C’était un moment où j’avais vécu le drame de la mort de ma sœur. Et à Paris, en tout cas dans mon milieu, tout le monde savait. Ma famille et moi, on était vraiment mis à nu, très exposés. Alors je suis partie à New York avec les miens, pour nous créer un cocon. Et ça m’a permis de ne plus avoir peur d’être personnelle dans mes textes. Je ne pouvais qu’être sincère, je n’avais pas le choix, parce que je ne me sens pas être un grand auteur.

Votre famille est partout dans l’album…
Oui, c’est vrai. J’en avais envie, c’était chouette de les embarquer. Je réalise aujourd’hui que mon père aussi m’a embarquée avec lui. C’était très naturel, c’était dans l’ordre des choses. J’ai mis un pied dans le cinéma, et j’ai enregistré Lemon Inscest à l’âge de douze ans, sans me poser trop de questions. Alors proposer ça à mes enfants, c’était un plaisir pour moi et j’espère que c’était un plaisir pour eux. C’est tout simple…

C’est une forme d’atavisme, comme les enfants d’un artisan qui essaient les outils de papa ?
Mais oui. Ma grand-mère était actrice, ça remonte à loin. Je trouve ça assez normal de leur proposer, de mettre ces outils à leur disposition. Après, ils n’auront peut-être pas envie de faire ce travail. C’est leur droit. D’ailleurs ce n’était pas pour les pousser dans cette direction, c’était plutôt pour partager un moment avec eux, une forme d’aventure.

Vous êtes à nouveau en tournée, et on vous sent beaucoup plus à l’aise sur scène…
C’est vrai. Je suis moins mal à l’aise. La première fois, c’était douloureux, je n’étais pas dans mon élément. J’avais les musiciens de Beck autour de moi, j’étais bien soutenue. Mais c’était presque trop professionnel pour moi, à l’époque. En fait comme j’ai commencé tard, je n’avais plus l’âge d’être une débutante. Il fallait faire semblant de ne pas l’être, il fallait être à leur niveau, ce qui m’était impossible.

Pourquoi donc ?
Parce que je me suis directement retrouvée dans des grandes salles, avec la responsabilité que ça incombe.
Quand vous commencez dans les bars, ou les tout petits lieux, vous pouvez être hésitant, trébucher. Si vous jouez dans un grand festival, il faut être professionnel.

Aujourd’hui, ça va mieux, vous avez plaisir à être sur scène ?
Je ne sais pas si je m’en sens capable aujourd’hui. Mais je me sens moins illégitime, moins une intruse dans un tableau trop parfait. Les gens savent la voix que j’ai et le physique que j’ai, et ce qu’ils vont voir. Je ne suis pas Beyoncé ou Rihanna. Même si j’aimerais bien !

Il y a une évidence quand on vous voit sur scène, c’est que les gens vous aiment. Vous avez une cote incroyable…
Oui, je le ressens. Mais je suis plutôt de nature parano, je doute beaucoup trop de moi. S’il y a une personne qui a l’air de s’ennuyer dans le public, ça me mine. C’est compliqué pour moi d’être très positive. Je le regrette, et je travaille contre ma nature. J’ai envie de profiter des gens, mais quand on a une nature un peu tordue, il faut s’apprivoiser.

Vous avez une mère Britannique et un père Français. Qu’est-ce que ça vous a fait, le Brexit ?
J’ai trouvé ça affligeant. J’ai l’impression que les Anglais n’ont pas compris ce qui va leur arriver. Dans ma famille on avait tous honte de ce choix.

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