Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroianni à coeurs ouverts (L’Express Styles)

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Par Tiphaine Lévy-Frébault, L’Express Styles, publié le 11/09/2014

Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroinanni partagent l'affiche de Trois coeurs, en salle le mercredi 17 septembre. Ralph Mecke/H&K

Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroinanni partagent l’affiche de Trois coeurs, en salle le mercredi 17 septembre.
Ralph Mecke/H&K

Les deux comédiennes sont réunies pour la première fois au cinéma dans Trois Coeurs de Benoît Jacquot. Elles se livrent pour L’Express Styles en toute intimité et en exclusivité.

L’une, douce et touchante, débarque tout juste de New York. L’autre, volubile et nature, boucle ses bagages avant de partir en vacances. Charlotte Gainsbourg et Chiara Mastroianni sont à l’affiche de Trois Coeurs, une intrigue amoureuse à trois personnages dans laquelle elles interprètent deux soeurs totalement fusionnelles, amoureuses sans le savoir du même homme (Benoît Poelvoorde) sous le regard de leur mère (Catherine Deneuve). Rencontre à Paris, avec deux stars du cinéma français.

Trois Coeurs, le film
Charlotte Gainsbourg: Le scénario de Benoît Jacquot m’a séduite immédiatement par la complexité du personnage incapable de ne pas trahir sa soeur -la personne la plus chère à ses yeux. Par ce dilemme, par cette passion. Moi, dans la vie, je fais confiance au temps et à la manière dont les événements se produisent, et pas uniquement en amour. Je n’aime pas trop l’idée de destin, de déterminisme. Je prends les surprises du hasard.

Chiara Mastroianni: J’avais envie de travailler avec Benoît Jacquot et de jouer dans cette histoire très sentimentale qui peut être interprétée de différentes façons. Comme dans le classique de Leo McCarey [Elle et lui, avec Cary Grant et Deborah Kerr] ou dans les films de Jacques Demy, il y a cette notion de rencontre ratée, à deux secondes près. Au quotidien, cette question de timing existe sans doute. J’adore ce genre d’anecdote, quand une personne loupe son avion et tombe amoureuse en attendant le vol suivant.

Chiara par Charlotte et vice versa
C.G.: Je me souviens de Chiara petite, peut-être à un anniversaire d’Eddie Barclay. Et de dîners avec sa mère où elles étaient très drôles et percutantes. On a vécu en parallèle la disparition de nos pères, la naissance de notre premier enfant… Chiara sait cacher ses blessures, elle est de nature enjouée, très drôle, et c’est cet humour qu’elle partage avec Catherine que j’ai toujours trouvé plus que charmant. C’était super d’être témoin de leur complicité sur le tournage.

C.M.: On s’est croisées petites, grâce à nos « ancêtres », et on garde toujours avec les gens qu’on a connu enfant une forme d’intimité, une impression de déjà vu. J’ai le souvenir d’une première rencontre un été… Charlotte est à la fois discrète et très affranchie, je la perçois comme quelqu’un de très fort, vraiment solide. Ça se sent dans ses rôles d’ailleurs. Sa voix me fascine. Elle me donne la chair de poule car elle ne triche pas.

Transmission
C.G.: Petite, je me cachais pour regarder ma mère jouer. L’observer était déjà ludique. J’adorais cet univers: le maquillage, l’équipe, cette famille de substitution. Elle m’emmenait partout avec elle et je fais pareil avec mes enfants. Il y a une vraie transmission dans le plaisir du jeu. Je les vois suivre le même chemin… Je comprends que ça les fasse rêver, mais j’ai envie qu’ils réussissent. Quand j’ai commencé, j’étais persuadée que ça n’allait pas durer. Par superstition, je me répétais: ‘Ce n’est pas mon vrai métier, je ne l’ai pas choisi’… J’aurais peur de la même manière pour eux.

C.M.: Ma mère ne parlait pas de son métier, je ne l’accompagnais pas sur les tournages, sauf pendant les vacances. L’amour du plateau est né des films de mon père à Cinecitta, à Rome. Des accessoires de péplum côtoyaient les décors d’Il était une fois en Amérique, c’était génial! L’odeur des studios aussi me reste en mémoire, ce mélange de bois, de sciure, une atmosphère qui rend accro. L’envie a dû monter assez tôt en moi mais quand j’ai eu neuf ans, mon grand frère [Christian Vadim] a laissé tomber ses études de droits pour devenir acteur. La pilule est très mal passée dans la famille, donc j’ai un peu rabattu mon caquet sur mes envies, et pendant longtemps.

Héritage de la célébrité
C.G.: A l’époque sulfureuse de Je t’aime moi non plus j’avais quatre ans, donc je n’en ai pas souffert. Ensuite, il y a eu des épisodes difficiles, comme la séparation de mes parents rendue publique. On faisait les couvertures de France Dimanche tous les quatre dans le jardin, heureux, et d’un seul coup les photographes nous traquaient, c’était très agressif. Je me souviens que c’était beaucoup plus douloureux pour Kate qui le prenait très à coeur alors que moi j’avais une sorte de carapace, c’est comme si les choses ne m’atteignaient pas. Et pourtant! Quand mon père a brûlé un billet de 500 francs à la télévision, moi on m’a brûlé ma copie en classe. Les autres enfants n’étaient pas toujours tendres.

C.M.: J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ne nous exhibaient pas comme des mascottes. On a eu affaire aux paparazzis mais ça n’était pas de leur faute. Un jour, quand j’avais six ans, mon père est monté sur des patins à glace pour m’accompagner alors qu’il détestait ça mais il y avait des paparazzis ce jour-là. Il était si mal à l’aise qu’il avait la sensation que ses orteils allaient s’enfoncer dans la glace pour ne pas tomber et perdre la face devant les photographes. Mes parents ne m’ont jamais trimballée avec eux. La première fois que je suis allée au Festival de Cannes par exemple c’est parce que j’avais un film à présenter. Je suis heureuse que ça se soit passé comme ça, sinon les choses auraient été plus floues pour moi. C’était plus sain de rester dans l’ombre.

Discrétion
C.G.: Ce que j’ai vécu avec mes parents m’a donné une forme de discrétion. Il m’a fallu très longtemps avant de révéler le prénom de mes enfants, et même de parler d’Yvan [Yvan Attal, son compagnon]. Dès mes premières interviews, pour L’Effrontée, vers mes 14 ans, on m’interrogeait sur mon père et ma mère, ça m’énervait tellement que j’ai tout cloisonné pendant de longues années. Maintenant je me suis ouverte à nouveau. J’ai conscience que mes enfants [Ben, Alice et Joe] souffrent de notre célébrité. Et puis je n’ai pas tourné les films qu’il fallait pour les protéger. Le côté artistique l’a finalement emporté, peut-être que c’était plus facile pour moi de penser: ‘Moi aussi, je l’ai vécu avec mes parents’. J’en ai évidemment parlé avec eux, je serai intervenue si je les avais vraiment sentis blessés.

C.M.: Vu la façon dont j’ai été élevée, j’ai su comment préserver ma vie privée. J’ai la chance d’être relativement épargnée, mais il se trouve que j’ai aussi une vie très simple. Si mes enfants [Milo et Anna] décidaient de se lancer dans des métiers où l’on est exposé, ce serait leur choix. L’intimité doit être protégée, surtout de nos jours, où l’on demande l’avis des gens sur tout, où les questions sont parfois d’une intrusion féroce… Je trouve que la célébrité a énormément changé depuis quelques années, en particulier avec les réseaux sociaux, ça me dépasse totalement. Je veux bien jouer le jeu mais il faut quand même garder une part de secret, sinon, on devient folle.

Quarantaine
C.G.: On a de beaux rôles plus longtemps au cinéma actuellement, mais, le problème c’est que la société ne veut pas vous voir vieillir. Avant je pensais beaucoup au temps qui passe. Observer les gens autour de moi prendre des rides était quelque chose de quasiment insoutenable. Et puis j’ai perdu Kate[Berry]. Je pense que le départ de ma soeur a tellement bouleversé ma vie que je ne sais plus trop ce qui pourrait m’effrayer maintenant. Ma propre mort ne me fait plus peur, je me sens vraiment ailleurs en ce moment, je suis uniquement tournée vers elle. Mon rapport à la vie a basculé de la même manière que lorsque j’ai eu mon grave accident cérébral – j’avais d’ailleurs écrit la chanson IRM sous le choc. Cela fait six mois que ma soeur est morte et je suis toujours abasourdie. Pour l’instant, la vie est un brouillard total, je n’ai plus aucun repère. Je dois arriver à me reconstruire.

C.M.: C’est étrange, j’ai fait des choses très jeune, par exemple mes enfants, et en même temps j’ai trainé mon adolescence très tard. Comme je n’ai aucune notion du temps -j’ai l’impression que les années 90 c’était hier- je ne sais pas si la quarantaine change fondamentalement quelque chose. Les complexes s’estompent, on cohabite mieux avec eux. Malgré tout, les peurs demeurent et même si j’aborde certains événement avec plus de sagesse, je ne peux pas dire que je baigne dans la sérénité. Désormais, on vit plus longtemps qu’avant mais dans quelles conditions? Je n’ai pas envie de vivre très vieille si c’est pour être seule, malade ou dépendante. Cela m’effraie davantage que les problèmes esthétiques même si c’est plus facile d’affirmer cela à 42 ans. Avec le temps qui passe, d’autres problèmes émergent, comme perdre les gens qu’on aime.

Mode
C.G.: Lors de ma première cérémonie des Césars, ma mère avait choisi un petit costume Agnès B et, pour moi, la mode n’allait pas plus loin. J’ai pris du plaisir à m’habiller bien plus tard, une fois débarrassée de mes complexes, bien plus tard. Nicolas Ghesquière m’a beaucoup aidée en cela, il m’a énormément valorisée et m’a amenée vers des univers plus ou moins éloignés de moi. J’ai porté des vêtements que je n’aurais jamais osé enfiler. Ce sont des vacances, une véritable respiration…

C.M.: Je trouve sublime les pièces que faisait Alexander McQueen, par exemple, même si jamais je n’aurais osé porter de tels vêtements. Je suis très impressionnée par le travail récent de Raf Simons pour le défilé Haute Couture de Dior: ses robes inspirées du XVIIIème, ses redingotes incroyables… Je suis de près certains couturiers comme Nicolas Ghesquière, hier pour Balenciaga, aujourd’hui pour Louis Vuitton. Dans la vie, je suis très basique: un jean, des ballerines l’été, des boots l’hiver.

Sororité entre actrices
C.G.: Je n’ai pas eu souvent l’occasion de nouer des liens forts avec des comédiennes -à part Sandrine Kiberlain- mais je suis sûre qu’il y a une compréhension et une bienveillance entre nous. C’est un métier narcissique où l’ego est surdimensionné, il est difficile de ne pas ressentir aussi des piques de jalousie, c’est pareil entre soeurs d’ailleurs! Cela part de la notion de désir, ce n’est pas malsain. Pour Trois Coeurs, j’étais un peu préoccupée, je me disais que la filiation entre Chiara et Catherine allait se faire d’emblée. Finalement, tout était instinctif entre nous. Chiara est une amie aujourd’hui, je peux me confier à elle.

C.M.: Je ne sais pas si on peut parler de sororité entre actrices, mais de bienveillance, oui. Je ne crois pas du tout aux histoires de compétition entre comédiennes. C’est déjà assez dur comme ainsi. Certaines m’ont beaucoup marquée, comme Emmanuelle Devos. lus jeune, elle m’a beaucoup aidée. Je sais que si j’ai un doute je peux l’appeler. Je ne fréquente pas beaucoup de gens du cinéma, sauf ceux qui sont des amis de toujours, comme Melvil Poupaud, rencontré au lycée. J’ai une véritable affection pour les actrices en général et pour Charlotte Gainsbourg en particulier.

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