Charlotte Gainsbourg: « être honnête, c’est la seule chose que je fasse très bien »

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Propos recueillis par Richard Gianorio. Madame Figaro. Photo : Charlotte Gainsbourg dans « Prête-moi ta main »

Elle est sur tous les fronts. Son album , « 5:55 » est le succès de l’automne et au cinéma dans « Prête-moi ta main », elle est aussi drôle qu’Alain Chabat

La silhouette la précède. Longue, souple, androgyne, Charlotte Gainsbourg est une de ces filles pour qui on semble avoir inventé le jean. Elle a toujours été trop bien élevée pour jouer à l’effrontée. C’est une émancipée de trente-cinq ans, mère de deux enfants (de neuf et trois ans), qui vous sourit : l’« exquise esquisse » a pris forme et trouvé sa place.

Son album, « 5:55 »*, un hommage détourné à son père, caracole en tête des classements. Au cinéma, dans « Prête-moi ta main »**, d’Éric Lartigau, elle fait tourner Alain Chabat en bourrique. La comédie lui va bien.

« Madame Figaro ». – Votre album est le succès surprise de la saison…Charlotte Gainsbourg.
– Je pouvais difficilement espérer mieux. J’essaie de prendre du recul, de ne pas plonger mon nez dans ce qui a été écrit à mon sujet : ça peut rendre fou! C’est d’autant plus inespéré que je ne me suis jamais considérée comme une chanteuse. Concernant la musique, je marchais sur des oeufs : c’était une zone secrète que je ne voulais même pas analyser, parce que la chanson, c’était avec mon père et seulement avec lui. Quand il est mort, je me suis dit que je n’y avais plus ma place. L’envie était là, enfouie, mais j’ai mis vingt ans à l’assumer. Même durant l’enregistrement, je restais secrète. J’étais gênée. Je n’ai fait écouter l’album à ma mère et à mes soeurs que très tardivement. Quant à la scène, il en est question pour 2007. Mais je ne me sens pas au point. Est-ce que j’ai les épaules assez solides?

– Toujours votre tendance à l’autodépréciation…
– Je suis sévère mais je ne ressens aucun plaisir particulier à m’enfoncer. Je suis plutôt complexée, j’ai tendance à ne pas savoir positiver. Je suis restée timide, je m’embourbe, je n’ai pas de facilité avec la parole, même si ça va mieux. J’ai des doutes, je n’ai pas la prétention de dire que tout va bien. J’avance comme ça, c’est mon mode de fonctionnement, mais au fond, ce déséquilibre, c’est moi qui le provoque : ce n’est pas forcément agréable, mais c’est constructif. Si j’étais totalement stable, je serais ennuyeuse.

– Comment expliquer que vous preniez si peu la parole ?
D’une part, c’est ma nature : je ne suis pas une bavarde. D’autre part, cette façon de peu parler a toujours été ma protection. Petite, je changeais de lycée chaque année, au gré des tribulations de mes parents. Je n’avais que des amitiés éphémères, j’étais toujours celle qui débarquait. Il fallait que je me blinde face à ces têtes nouvelles et je me suis blindée en me taisant. Blindée, il fallait aussi que je le sois pour supporter tout ce que j’entendais au sujet de mes parents. Aujourd’hui, ce ne sont que concerts de louanges, mais à l’époque ils choquaient tout le monde. Il m’est même arrivé de me battre dans la cour de récréation !

– On vous sent plus à l’aise quand il s’agit d’évoquer vos parents…
– Oui, alors qu’auparavant je jugeais indiscrètes toutes les questions relatives à mon père. Je suis heureuse quand on lui rend hommage, je ressens le besoin d’en parler, et en même temps, quand on m’interroge avec insistance, je n’en peux plus : j’ai l’impression de ne pas avoir grandi !

– À quel moment êtes-vous devenue une adulte ?
Je continue d’évoluer, mais j’ai l’impression qu’on fait toute sa vie des allers-retours entre le monde adulte et celui de l’enfance. On a des moments, rien n’est fermement délimité. Évidemment, être mère a complètement changé mon rapport avec la vie : mes deux enfants passent avant tout, et cela fait du bien. Mais il n’y a pas que le poids de la responsabilité dans la maternité : les enfants aident à rester des enfants. Quand je joue avec eux, j’ai leur âge…

– Charlotte Gainsbourg est-elle une femme d’intérieur ?
Je suis casanière et bordélique. Je n’ai pas de dispositions pour la décoration et je ne prends pas le temps de ranger. Je suis inondée de paperasse, c’est fatigant. Je ne jette rien, je garde absolument tout, le moindre souvenir est conservé dans une boîte. En fait, je ne suis pas bonne pour gérer le quotidien.

– En revanche, on vous présente aujourd’hui comme une bête de mode, une sorte de Sofia Coppola française…
Ça me fait rigoler car je n’ai aucun rapport avec la mode. Je ne suis pas une « fashion victim », je ne fais pas les magasins et, ceux de Nicolas Ghesquière (NDLR : le styliste de Balenciaga) exceptés, je ne vais pas aux défilés, que je juge beaucoup trop agressifs. Je n’ai pas un goût très sûr, je fais des fausses notes et je suis facilement influençable. Je suis exactement comme les autres filles, je cherche ce qui me va et je ne suis pas facile à habiller : pas de hanches et les jambes pas assez fines. À un moment donné, je portais une sorte d’uniforme : un trench, un jean et des bottines ; la réputation dont vous parlez est partie de là. Aujourd’hui, ça m’amuse beaucoup de faire des photos de mode, mais je ne me prends pas pour un mannequin; d’ailleurs, je ne sais pas poser. Heureusement, personne ne me demande de jouer la féminité ou la séduction. On me demande juste d’être moi-même, et je fais ce que je peux.

– Vous êtes plus belle qu’à vingt ans…
– Ça me fait plaisir de l’entendre. J’ai été une adolescente mal dans sa peau, je n’étais pas en phase avec mon physique. Aujourd’hui, je gère mieux, même si mon rapport à l’image n’est pas toujours facile.Le regard des autres me rassure. À moi d’être plus détendue…

– Quel est le comble de l’élégance ?
– Un corps de danseuse. Ce que les danseuses portent me plaît : leur tenue de travail, le justaucorps et lesvieilles chaussettes montantes. J’aime beaucoup ce mélange de grâce et d’effort. J’aime cette vision de la féminité : la grâce au travail.

– Êtes-vous ambitieuse ?
– Oui, si le projet me correspond. Je me suis battue pour jouer dans « 21 Grams », avec Sean Penn, je suis allée passer des essais à Los Angeles, enceinte, et je les ai convaincus. Là, j’ai tourné « I’m Not There », de Todd Haynes, avec Heath Ledger, qui joue Bob Dylan. À l’américaine : intensif. C’est ce que j’aime, cela me permet de m’ancrer parce que je ne sais jamais vraiment où me placer…

– Vous semblez bien placée cependant dans la course aux films américains…
– Une carrière américaine me paraît un projet démesuré. Jusqu’à présent, j’ai surtout tourné dans des films indépendants, à taille humaine. Je ne connais pas Hollywood proprement dit mais j’aime leur façon de travailler douze heures d’affilée par jour. On est dans une bulle : on tourne, on rentre à l’hotel, on dort, on est d’attaque à quatre heures du matin. Je ne suis pas une « workaholic » mais quand je fais une chose, j’aime l’idée de la faire à fond. Ensuite, je rentre à la maison et je cède momentanément au lâcher-prise avec ses bonheurs et ses doutes aussi. Le cinéma passe loin derrière ma vie de famille, mais il s’octroie quand même une place capitale. J’ai des rêves. Celui de progresser en premier lieu. Et, plus anecdotiquement, essayer des personnages antipathiques…

– Autre chose : vous formez avec Yvan Attal un couple cité en exemple…
– On a bâti quelque chose de solide, mais il n’y a jamais rien d’acquis. La vie fait que tout peut déraper en très peu de temps. Il peut avoir un coup de foudre et me planter là. Ou l’inverse ? Qui peut dire? Être honnête, c’est la seule chose que je fasse très bien. Je n’ai pas de phrases malignes, je n’ai pas le don de la parole. Le plus évident pour moi, c’est juste d’essayer d’être moi-même. Je regrette parfois de ne pas mentir plus. Mais le pire serait de croire en ses propres mensonges…

* Édité par Because Music
**En salle le 1er novembre

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