Charlotte Gainsbourg, genèse éternelle

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A 45 ans, l’actrice qui présente en ouverture le nouveau Desplechin, «les Fantômes d’Ismaël», se débat avec ses propres spectres. Celui du père, de la sœur disparue, et de sa jeunesse évanouie.

Par, Par Sonya Faure, publié dans Libération, le 17 mai 2017

Charlotte Gainsbourg, le 16 mai à Cannes. Photo Olivier Metzger pour Libération

Il y a, parmi les souvenirs les plus doux de Charlotte Gainsbourg, une petite maison à la mer. Chaque été, invariablement, le père, Jane B., Charlotte et sa grande sœur, Kate, revenaient en Normandie. «On n’était pas des aventuriers.» Les rires et les jeux de gamines, la famille «à quatre». C’était avant la mort de Serge Gainsbourg en 1991, avant la défenestration de la photographe Kate Barry, la première fille de Jane, en 2013.

Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin, où Charlotte Gainsbourg campe Sylvia, une magnifique timide, femme hésitante et puissante, ne parle justement que de ça : du temps qui coule, des disparitions et de ceux qui reviennent, au détour d’une plage. «J’ai toujours eu un rapport douloureux au temps qui passe, dit la comédienne. Je n’ai pas une belle philosophie par rapport à ça. Le côté « on s’apaise en vieillissant », la sérénité à l’approche de la mort… je n’y crois pas.» Elle le regrette mais dit ne pouvoir s’empêcher de regarder le passé comme si tout y avait été plus beau, plus simple. «Ça tient au sentiment d’avoir eu plusieurs vies et de ne jamais avoir assez profité de chacune d’elles.» Au fond, Charlotte-for-ever a toujours eu l’âge trouble. Gamine chantant l’inceste dans le lit de son père, puis jeune femme longtemps filmée en adolescente gauche et touchante. «J’ai fait jeune fille très longtemps. J’ai l’impression que ma période femme, au cinéma, est passée à l’as.»

Elle porte une très courte jupe en cuir noir, mais c’est pour mieux, à peine assise, jeter sa veste en jean sur ses jambes nues. «Jusqu’à mes 30 ans j’étais bourrée de complexes, toujours à côté de mes pompes… La trentaine, oui, j’en ai davantage profité. Quarante ans, c’est juste un déclin.» Elle parle comme une vieille actrice, elle qui n’a que 45 ans et en fait pas mal de moins. «Face à toutes ces femmes qui se refont le visage, on se dit longtemps : « Ah ça non, ça ne sera pas moi »… Et finalement, ce n’est pas facile du tout. Le rapport à l’esthétique de notre époque, où toute image doit être nickel et retouchée, ne simplifie pas les choses. Sur certains tournages, on vous dit : « T’inquiète pas, on jouera sur les lumières, on te rafistolera après. » Mais à l’écran je me vois vieillir, et ça ne me plaît pas beaucoup.»

Dans les Fantômes d’Ismaël, Charlotte Gainsbourg est astrophysicienne. Elle regarde le ciel. En vrai, l’actrice n’en attend rien. Elle ne croit pas en Dieu, malgré la brève phase mystique de son adolescence, quand elle cherchait les réponses à ses questions dans les textes juifs et se faisait inviter chez une copine pour fêter shabbat. Ça a surpris ses parents, qui ne lui avaient transmis la culture juive familiale qu’à travers les recettes de cuisine, et ça ne lui a pas déplu. «J’avais envie d’appartenir. Je voulais me sentir acceptée.»

Elle ne croit plus en rien mais elle a, elle aussi, ses fantômes. «J’essaie de les agiter le plus possible.» Le premier, celui du père, aurait pu la bouffer. «Il a fallu longtemps pour que je fasse semblant de croire que ça existait. Ça s’apprend, ça s’apprivoise.» Celui de sa sœur a tout de suite été beaucoup plus présent. «Et je ne demande que ça. Elle est là au quotidien. Ça peut être compliqué pour ceux qui m’entourent et c’est pour ça que j’ai eu besoin de vivre ailleurs, de m’installer à New York, changer de vie.»

Dans la vie de Charlotte Gainsbourg, il y a aussi un merveilleux château hanté, celui de la rue de Verneuil. La comédienne a conservé l’appartement de son père en l’état. Il est là, elle ne sait qu’en faire, ne peut se résoudre à le vendre. «C’est la maison de miss Havisham qui n’a jamais débarrassé la table de son mariage, dans les Grandes Espérances de Dickens.» Le temps a commencé à marquer les murs. Petit à petit, le frigo s’est vidé. «Vous saviez qu’avec le temps, les boîtes de conserve explosent ?» Dans l’immense bocal que Gainsbourg remplissait avant l’arrivée de ses enfants, les bonbons ont coulé. «J’ai souvent fait un rêve. Mon père rentrait chez lui et me demandait : « Mais qu’est-ce que tu fous là ? »»

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