Charlotte Gainsbourg : «J’ai compris très tard que mes parents étaient des génies » (La Parisienne)

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La chanteuse et comédienne revient sur le devant de la scène avec un quatrième album studio emprunt de nostalgie et d’amours inconditionnelles pour son père et sa soeur, Kate Barry.

Par Lisa Delille, La Parisienne, 03 novembre 2017

Son prénom résonne dans notre imaginaire comme celui d’une enfant qu’il faudrait protéger du monde extérieur. «Charlotte» revient avec un quatrième album, «Rest», dédié à sa sœur Kate Barry. Une exploration fantasmagorique, orchestrée par SebastiAn, musicien électro de l’écurie Ed Banger Records. Rencontre non loin de la rue de Verneuil, à Paris.

Ce nouvel album peut paraître impudique mais il a la fraîcheur des premières fois. Était-ce un effet voulu ?
Il a un côté naïf car je suis beaucoup retombée dans l’enfance quand j’ai commencé mes recherches. Après la mort de ma sœur, il a pris un tour plus tragique, forcément. Je me suis alors vraiment lancée dans l’écriture, directement, sans me soucier de la forme. C’était effectivement une première fois. Je n’ai pas du tout pensé à la façon dont les gens allaient le recevoir. Je voulais juste finir ce projet, qu’il sorte. Après, j’espère ne pas être trop vulnérable. Les sorties de films, je les vis de manière très lointaine. Là, ce n’est pas pareil, c’est mon bébé. Je pense que j’aurai plus de mal avec les critiques.


Dans vos morceaux, on ressent une certaine urgence à dire l’indicible, rythmée par les productions musicales de SebastiAn. Aviez-vous hâte de vous livrer ?
Face à l’impudeur que j’ai mise dans mes textes, la musique de SebastiAn m’a permis de garder une certaine distance. Je tenais vraiment à opposer textes et musique : arriver à dire des choses un peu graves sur des rythmes très énergiques, limite disco. J’ai toujours été attirée par les choses à l’opposé de mon image douce et réservée. J’aime tout ce qui est violent, la musique énervée. C’est pour cela que j’avais très envie de travailler avec lui. J’admire son côté excessif, voire agressif. Je voulais aller dans des sphères qui ne sont a priori pas les miennes, comme lorsque je fais des films pour Lars Von Trier («Melancholia», «Nymphomaniac», ndlr). SebastiAn a compris l’urgence dans laquelle j’étais, il y a trois ans, quand j’ai décidé de partir vivre à New York après la mort de Kate. Après avoir travaillé sans but, il a compris qu’il fallait vraiment concrétiser le projet.

Le décès de votre sœur, Kate, en décembre 2013, a donc été l’élément déclencheur ?
Je n’ose pas dire que c’est le cas car j’avais déjà commencé le travail de cet album avant que cela arrive. J’avais vu Paul McCartney à Londres, qui m’avait fait parvenir une chanson, puis j’avais approché Guy-Manuel de Homem-Christo, des Daft Punk, qui m’avait fait écouter une boucle que j’aimais bien et qui a donné le morceau «Rest» (à traduire par repos, celui que l’on s’accorde à soi-même, celui que l’on souhaite aux disparus, ndlr). C’est le premier titre que j’ai réussi à terminer. J’ose espérer que l’album aurait tout de même vu le jour sans ce drame. Mais le fait qu’il soit arrivé m’a rendue très obsessionnelle, je ne voulais plus parler que de ça, évidemment.

Vous avez écrit en français sur cet album, notamment pour la chanson «Kate», ça aussi c’est une première !
Oui car cette chanson n’a pas de refrain ! J’ai du mal à écrire les refrains en français. Un refrain doit être plus terre à terre, très efficace. L’anglais est plus pratique. En français, le sens devient tout de suite trop présent. J’ai longtemps évité le français, même si les artistes avec lesquels j’ai collaboré, de Beck à Connan Mockasin en passant par Daho, m’ont souvent poussée à le faire. En tout cas, pour cet album, c’est sorti en français, c’est comme ça !

Votre père, Serge Gainsbourg, est également partout sur ce disque, dans la voix comme dans les arrangements…
SebastiAn a voulu traiter ma voix comme sur mon premier disque avec mon père («Charlotte For Ever», en 1986, ndlr), pour lui donner ce petit quelque chose «à la française». Moi, je parle tout particulièrement de mon père dans le second titre de l’album, «Lying With You». Mais il a toujours été présent dans ma musique en général. Y compris dans mes albums précédents avec Beck ou Air, il y avait toujours comme un clin d’œil, un hommage. C’est obligé qu’il soit là, il fait partie de toutes mes références, que j’aille dans la musique électronique, ou dans la folk.

Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance dans la maison de la rue de Verneuil ?
J’ai tourné le clip de «Lying With You» rue de Verneuil. Je me suis autorisée à le faire (elle sourit). On y retrouvera ces images entre le cauchemar et le fantastique (elle marque une pause). J’ai compris très tard que mes parents étaient des génies, par exemple. Donc les murs noirs, l’ambiance musée, les objets partout, tout ça faisait que l’on ne pouvait pas toucher à grand-chose. Mais on s’amusait dans la nursery. Quand mes parents se sont séparés, j’allais rue de Verneuil les week-ends, mon père était célibataire, puis il y a eu Bambou. Depuis mes 19 ans, ce lieu n’a pas bougé. Tout est resté tel quel. Il a un aspect fantomatique mais, d’un autre côté, c’est un climat dont j’ai besoin. Je n’y vais pas souvent car ce n’est pas un lieu neutre, il faut avoir le courage de le subir un peu. Mais j’y vais. Je réfléchis à en faire un musée. J’en ai de nouveau envie.

Pourquoi avoir décidé de déménager à New York ?
Avec Yvan (Attal, son mari, ndlr) et les enfants, cela faisait dix ans que l’on parlait de s’installer un jour aux États-Unis sans jamais réussir à se décider. Avec la mort de Kate, je n’y arrivais plus à Paris. Oui, j’ai fui. Pour moi, c’était la seule solution sur le moment. Heureusement, Yvan et les enfants ont accepté de me suivre. Ils ont compris que c’était nécessaire. Une fois sur place, il fallait bien que je travaille. L’album a continué à évoluer. Je ne suis pas partie en pleine conscience. Je n’ai organisé les choses qu’après coup.

Paris est encore une ville de deuil

Que représente Paris pour vous, aujourd’hui ?
Paris est encore une ville de deuil. Partir à New York ne m’a pas empêchée de penser à ma sœur tout le temps, loin de là, mais ça m’a permis de vivre mon deuil de manière plus irréelle. Car Paris me ramène à quelque chose d’excessivement réel. C’est pour cela que je ne prends pas encore énormément de plaisir à être ici, même si je m’y sens chez moi. Tous mes repères sont à Paris, tout mon passé, c’est pour ça que j’en suis partie. Quand je rentre, je suis heureuse de voir les gens qui me manquent mais, si je prends une minute pour comprendre ce que je ressens, je n’ai pas envie d’être ici.

Alors, que faites-vous quand vous ne faites rien ?
J’adore passer du temps face à mon piano, dans l’atelier, sur le toit de ma maison de New York. C’est une maison que j’ai pour un an, j’ai vraiment de la chance. Sinon, j’adore cuisiner. Je suis les recettes à la lettre, je ne peux pas improviser la cuisine. C’est impossible, je dois être sûre de mon coup. Je suis folle de livres de recettes. Ma nouvelle passion c’est le livre «Jerusalem», de Yotam Ottolenghi. Je viens d’en avoir un autre, «Genius Recipes», de Kristen Miglore. Ce n’est pas que je suis une perfectionniste, non, mais je suis tellement peu sûre de moi que je tiens à peser plusieurs fois les ingrédients, je programme plusieurs horloges en même temps, idem pour la température du four (elle rit).

Dans le film «La Promesse de l’aube» (au cinéma le 20 décembre), d’Éric Barbier, vous incarnez Nina Kacew, la mère de l’écrivain Romain Gary dans l’adaptation de son livre. Là aussi, il est question d’un amour absolu, comme avec votre père…
Pierre Niney, qui incarne Romain Gary, est vraiment exceptionnel. Mais c’est sa mère, Nina, qui est le personnage principal du film. Le réalisateur m’a fait une confiance énorme en me donnant un rôle soi-disant à des kilomètres de moi. Mais dans ce personnage, il y a un mix entre ma grand-mère, qui était russe, et mon père en femme. J’ai adoré être grimée ainsi, vieillie, et jouer un être excessif. C’était vraiment dément.

Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage ?
Une impression très gaie mais j’étais sur une autre planète, à ce moment-là. J’étais dans mes rêves imaginaires de racines, de Russie. J’étais tellement studieuse avec la pratique du polonais. J’ai été coachée durant six mois par une jeune actrice qui m’a considérée comme son poulain. On a beaucoup travaillé ensemble. C’était ce qu’il y avait de plus dur, le polonais, surtout dans les scènes d’engueulade ! J’aime le côté brutal de l’effort car il me positionne directement face à l’obstacle.

Vos choix cinématographiques sont assez macabres. Quelle place tiennent les vivants dans tout ça ?
Ils ont une place plus qu’importante mais cela reste très privé. Je ne me permets pas de parler des vivants, ça «nous» regarde, ils font encore partie du tableau ! Mes enfants font que je suis vivante, pareil pour Yvan. C’est grâce à eux que je suis là. En tant qu’artiste, j’ai besoin de m’exprimer sur des choses dures, le bonheur ne m’intéresse pas. Ce qui vient de moi n’est pas forcément très joyeux.

Pourquoi avoir troqué vos longs cheveux bruns pour un carré court en bataille ?
Je les ai coupés six mois après mon arrivée à New York. J’ai eu très envie de tout changer, faire quelque chose de très radical. J’en avais ras le bol de mes cheveux longs. Il faut dire que, là-bas, tout est possible : me couper les cheveux, écrire les paroles de mes chansons, faire des photos, du dessin… plein d’expériences. Ici, à Paris, je prends beaucoup plus de gants, je me sens beaucoup plus observée. C’est plus compliqué de me sentir courageuse.

La Parisienne et Charlotte Gainsbourg, ce sont quasiment des synonymes, non ?
J’appartiens à Paris, c’est ma ville, mais je ne me sens plus d’actualité car je n’y vis plus. Je suis une nostalgique, mon quartier ne ressemble plus à celui de mon enfance. À l’époque, il y avait encore plein d’artistes et d’artisans à Saint-Germain. Mais il faut savoir redécouvrir sans cesse sa ville pour continuer à l’apprécier vraiment.

La Parisienne aime Rest

Charlotte Gainsbourg REST cover album

Si «Rest» aborde sans détour les blessures de la perte de deux êtres aimés inconditionnellement, cet opus n’en demeure pas moins un fabuleux autoportrait, âpre et sans concessions. Le second titre de l’album, «Lying With You», revient sur la mort du père, quand Charlotte Gainsbourg n’avait que 19 ans. Le troisième, Kate, parle de la disparition de sa sœur, la photographe Kate Barry, en décembre 2013. Mais ces deux chansons nous conduisent vite à l’artiste elle-même qui, dans «I Am a Lie», expose ses complexes et sa timidité maladive. Fabuleusement entourée par le compositeur SebastiAn (Ed Banger Records), producteur de l’album, mais aussi par Guy-Manuel de Homem-Christo (Daft Punk) ou encore Paul McCartney, qui lui a offert une chanson, Charlotte Gainsbourg fait tourner ses fantômes à la manière d’un derviche planté dans un décor de cinéma entre «Shining» et «Melancholia». Un contraste saisissant de beauté.

«Rest», sortie le 17 novembre (Because Music)

Crédits Photo :

  • Photographe, James Brodribb
  • Réalisation, Laure Orset
  • Coiffure, Sébastien Bascle / Calliste
  • Maquillage, Min Kim / Airport
  • Opérateur digital, Devin Doyle
  • Assistant photographe, Christian Varas
  • Assistante styliste, Fanny Martini

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