Charlotte Gainsbourg : « J’ai envie de vous surprendre » (Elle)

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Elle chante, elle danse, elle met le feu sur scène et ose tout dans les films de Lars von Trier… Trois mois après la naissance de sa petite Joe, Charlotte Gainsbourg revient avec un double album et une énergie folle.

Détendue, sans maquillage, en jean gris et confortable pull beige, elle n’a jamais paru si rayonnante. Souriant, riant d’un rire aussi léger qu’un souffle, maniant l’autodérision avec un humour délicat. Le 16 juillet, Charlotte Gainsbourg a donné naissance à la petite Joe, sa troisième enfant. Elle revient à l’affiche du formidable « Melancholia », de Lars von Trier, en égérie de L’Essence, le nouveau parfum de Balenciaga. Et surtout avec un disque live. Un double album* reprenant les chansons d’« IRM » signées Beck, et agrémenté, luxueux cadeau, de sept inédits. Assurée vocalement, elle y joue les muses amusées et désinhibées sur un titre disco, un morceau pop/rock ou une ballade folk mélancolique. Une liberté que l’on retrouve dans le clip de « Terrible Angels » où elle se lance dans une chorégraphie débridée au milieu de clones en jean slim et Perfecto. Rencontre avec la nouvelle Charlotte, toujours exquise de sensibilité, mais un peu plus débridée.

ELLE. On sent que vous avez eu beaucoup de plaisir à chanter sur les inédits. C’est le métier qui rentre ?
CHARLOTTE GAINSBOURG. Je ne sais pas, mais j’ai eu un grand plaisir à rencontrer des gens que je ne connaissais pas et à me laisser embarquer dans leur univers. J’étais sans a priori, sans jugement, car, au final, ça n’était que de petites expériences réunies, sans l’ambition de faire un album, et ça enlevait beaucoup de pression. Et sur un des nouveaux titres de Beck, je lui ai demandé d’aller dans une direction plus rock, de me faire chanter davantage, de me lâcher un peu plus pour voir.

ELLE. Chanter est-il plus impudique que jouer ?
C.G. C’est différent, mais c’est tout aussi impudique. J’ai aussi l’impression que je me raconte davantage. Pour un film, on utilise ses émotions, mais on reste toujours planquée derrière un rôle. Avec la musique, on essaie de coller à sa propre personnalité. Et sur scène, sauf si on est une bête de scène et qu’on fasse un show, on ne peut qu’être soi-même.

ELLE. Si on cherche la vraie Charlotte Gainsbourg, il faut donc l’écouter…
C.G. Oui, mais ce n’est pas forcément le plus intéressant. Je sais que, avant, pour mes rôles, on me trouvait « juste » et « vraie ». C’était flatteur, mais être actrice simplement pour le fait d’être « vraie », je m’en fous, moi. Je voudrais surprendre, être inattendue.

ELLE. Vous surprendre vous-même aussi ? 
C.G. Me surprendre, je ne sais pas, me pousser un peu, oui. Ce sont les rencontres, les expériences aussi qui sont intéressantes. Maintenant, je sais que j’ai tendance à être attirée par des choses que je n’ai pas faites avant, à ne pas aller vers des rôles trop attendus. Bon, ce que je dis valait quand j’ai fait « Antéchrist ».

ELLE. Quels sont vos meilleurs souvenirs de scène ?
C.G. Le Festival de Coachella ! Il y avait 5 000 ou 7 000 personnes et ça me paraissait dément, car ça n’était que mon cinquième concert. J’ai eu un mouvement de recul en montant sur scène, car voir ces gens à perte de vue m’a donné un choc. Et puis j’ai été embarquée par le public et ça a été un vrai tourbillon et un grand moment de plaisir. Avant de faire de la scène, je m’étais demandé si j’en étais capable. J’avais oublié que les gens viennent, non pas parce qu’ils y sont obligés, mais parce qu’ils ont envie de passer un bon moment [rires]. C’est pour cela que je n’avais pas commencé ma tournée par la France, car j’avais trop peur du jugement des Français.

ELLE. Vous pensiez que vous n’intéressiez pas le public ?
C.G. Je ne pensais pas que les gens seraient aussi gentils et généreux, car c’est eux qui font qu’on se sent bien et qu’on a envie d’être là. Sans eux, ça n’aurait aucun intérêt de chanter juste pour soi.

ELLE. Ça doit être assez libérateur comme sensation, non ?
C.G. On a un ego démesuré pendant la tournée. C’est monstrueux, on ne passe plus les portes. Enfin, j’exagère. La seule chose que mes parents m’ont apprise, et très tôt, c’est à bien garder les pieds sur terre. Mais on est tout de même obligée de se dire qu’on vaut la peine d’être vue, sinon quelle raison aurait-on de monter sur scène ?

ELLE. Vous aviez oublié tous vos doutes ?
C.G. Non, mais j’étais très énergique et très volontaire. Et après, du jour au lendemain, je me suis retrouvée sur le tournage de « Melancholia », de Lars von Trier, et j’ai pris une douche froide. J’étais dans un hôtel assez fade en Suède, et je devais tout d’un coup me plonger dans un scénario et redevenir studieuse. Il m’a fallu un petit temps d’adaptation. [Rires.]

ELLE. Ça n’est pas épuisant de vivre ainsi des hauts et des bas?
C.G. Il n’y a pas mieux, car on ne peut pas se lasser. Il n’y a pas de train-train ennuyeux, même si justement j’adore le train-train en famille. Le théâtre m’a toujours fait peur pour cette raison. Même si le public est différent tous les soirs, ça n’est pas comme donner des concerts de ville en ville. Cela dit, pendant la tournée, je me sentais aussi très solitaire, car, comme j’étais traqueuse, j’enchaînais les interviews dans ma chambre d’hôtel au lieu d’aller m’amuser avec les musiciens. Mais, en général, une vie passée sur les tournages, en studio ou en concerts, c’est génial.

ELLE. Si vous n’aviez pas eu une famille, pensez-vous que vous auriez pu être happée par le travail, partir en vrille ?
C.G. J’ai une timidité naturelle qui m’en empêche, et puis je ne suis pas une boulimique de travail. Si je n’avais pas ma famille, je pense que je déprimerais entre deux projets. C’est eux qui font que j’ai du plaisir à me retrouver, je me retrouve grâce à eux.

ELLE. Justement, que dites-vous sur le plaisir d’être maman à 40 ans ?
C.G. C’est vraiment pas mal. [Rires.] Mais je me dis : est-ce vraiment le dernier ? Evidemment, quand notre fille Joe est arrivée, on s’est dit qu’elle serait la dernière. Il y a un plaisir à profiter de chaque moment en pensant qu’il ne se reproduira plus. Mêlé d’une tristesse à se dire que c’est la fin de quelque chose. Donc je ne ferme pas la porte pour le moment. En tout cas, il y a une telle différence d’âge entre les premiers et la troisième que j’ai l’impression que je ne sais rien, que c’est ma première enfant. Je réapprends tout. Du coup, avec Joe, je suis plus décontractée dans les conneries. On fait n’importe quoi, mais ça n’est pas grave ! [Rires.] On fait de toute façon n’importe quoi.

ELLE. Vous en êtes convaincue ?
C.G. Je le pense. Les parents qui font tout bien, ça n’est pas possible. Il y a un malaise. C’est sûr, ça cache quelque chose.

ELLE. Vous n’avez jamais été une mère parfaite, même pour le premier ?
C.G. Ah non, pas du tout, j’ai même fait de grosses conneries. On veut tellement bien faire, on a tellement de principes, on est encore plus réac que des vieux. On lit tous les livres, on est persuadés qu’il faut agir comme ci, ou comme ça, alors qu’être souples, c’est tout de même ce qu’il y a de mieux, l’enfant le sent bien. Donc, le premier essuie les plâtres. Plus tard, c’est drôle car il sait qu’il a essuyé les plâtres. Le deuxième a une totale liberté. Moi, j’étais la deuxième. Comme le premier s’en prend plein la tête, derrière, on passe totalement inaperçue. Je faisais autant de bêtises que ma soeur, mais comme j’étais très cachottière, mes parents ne s’apercevaient de rien. Et le troisième, c’est l’enfant chéri. Mais il faut justement faire attention à ne pas tomber dans ces clichés.

ELLE. Vous voilà à la tête d’une famille nombreuse…
C.G. Moi, j’aimerais bien en avoir plus, je trouve ça gai, il n’y a même que ça qui vaut le coup. Après, c’est vrai qu’on fait ça de manière très égoïste. Mère à 40 ans, lorsque votre enfant en a 20, vous en avez 60. Moi, j’ai perdu mon père à 19 ans, ce qui m’a complètement foutue en l’air. Mais qui prévoit de mourir à 62 ans ? Je pense qu’il faut vivre le plus intensément possible ce qu’on a à vivre.

ELLE. Vous sentez-vous complètement épanouie en tant que femme ?
C.G. C’est toujours difficile pour moi, je ne me sens pas femme. J’ai honte de le dire parce que ça paraît bête, mais on m’a gardée – et je me suis gardée – dans une espèce d’adolescence prolongée, ce qui fait que je ne me suis jamais sentie vraiment féminine et je n’ai jamais joué de ma féminité. Je jouais de manière détournée de mon androgynie. C’est dommage parce que je le vois avec mes enfants, il y a une partie d’apprentissage à devenir une femme, on se maquille, on se déguise, on apprend à vivre dans son corps, dans ses formes de femme. Et je n’ai pas osé.

ELLE. Et vous arrivez à transmettre cette féminité à votre fille ?
C.G. Je n’en ai pas besoin, c’est naturel chez elle. En revanche, je me demande bien ce qui a pu être contrarié chez moi. J’étais très complexée. Enfant, on me prenait toujours pour un garçon. J’avais les cheveux courts, on m’appelait « mon petit gars » et j’en jouais, car ça faisait plaisir à ma mère. Et je ne me suis pas révoltée contre ça, j’ai toujours été docile.

ELLE. En même temps, vous avez une personnalité très féminine…
C.G. On dit que je suis fragile, ce qui est plutôt un trait féminin, timide.

ELLE. Pudique aussi ?
C.G. La pudeur, je trouve que c’est très masculin. Il y a beaucoup plus d’hommes pudiques que de femmes. Mon beau-père est d’une pudeur incroyable, mon père l’était aussi. Et moi, je ne suis pas pudique physiquement, mais pour les sentiments, je le suis, oui.

ELLE. Vous dites parfois que vous êtes obsédée par le temps qui passe…
C.G. Oui, mais maintenant je crois que c’est fini. Une fois qu’on a atteint les 40 ans, la crise est passée. Moi qui me suis tant angoissée pendant tant d’années… A partir de 35 ans, le compte à rebours est horrible. Maintenant que j’ai 40 ans, que je ne peux rien y faire, que je vois bien que je ne me suis pas transformée dans la nuit, ça va mieux. Je viens aussi d’avoir un bébé. C’est un moment de la vie où on est tournée vers quelqu’un d’autre, on arrête de se regarder trois minutes, c’est la plus belle chose qui puisse arriver. Le temps qui passe continue à m’angoisser pour les gens que j’aime, les enfants qui grandissent trop vite, toutes ces banalités qu’on entend et qu’on répète, mais qui sont tellement vraies.

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