Charlotte Gainsbourg : “J’ai eu très peur de la mort” (Paris Match)

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Par Benjamin Locoge – Paris Match n°3159

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Elle a choisi d’appeler son album « IRM », comme un clin d’œil à l’hémorragie cérébrale qui a menacé sa vie. Confession d’une effrontée bien dans sa peau

Avec elle, c’est première classe. Charlotte Gainsbourg semble exceller dans tout ce qu’elle touche : le cinéma – elle a remporté le prix d’interprétation à Cannes pour « Antichrist » – et la musique, son album, « IRM », composé avec l’Américain Beck sort le 7 décembre. Son précédent opus, « 5:55 », s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires. Pour cette grande timide, son nouveau disque est un des symptômes de l’appétit de vie, de projets et de bonheur qui l’habite depuis son malaise, en 2007. Charlotte a glissé quelques sons qui racontent sa vie : son fils Ben qui joue de la batterie, la voix de sa fille Alice, mais aussi les bruits des machines d’imagerie à résonance magnétique, souvenir d’épreuves endurées.

Paris Match. Finalement, vous revenez rapidement sur la scène musicale…
Charlotte Gainsbourg. Je n’étais pas spécialement pressée… Après l’album avec Air, j’ai attendu un long moment avant de réfléchir au suivant. C’est ma maison de disques, en réalité, qui m’a demandé avec qui j’aimerais collaborer. J’avais déjà croisé Beck à plusieurs reprises, c’était une évidence que ce devait être lui. Je voulais faire quelque chose de différent.

Saviez-vous vers quel style musical vous aviez envie d’aller ?
Pas du tout. Pour l’entrée en matière, Beck m’a demandé ce que je voulais. J’avais envie de m’en ­remettre à lui, à son éclectisme ­musical. C’est pour cela que, dans le disque, on passe du blues à la pop, à des chansons rock ou pleines de percussions. Comme les séances d’enregistrement se sont déroulées entre plusieurs tournages, on sent aussi les différentes humeurs que j’ai pu traverser durant cette ­période…

Comment s’est passé l’enregistrement de l’album par rapport au précédent ?
La donne était différente. Pour “5:55”, je ne me souciais pas de la suite. Mais j’avais dû me brusquer, c’était une atmosphère très pesante. Les studios, je connaissais, j’allais y voir mes parents quand j’étais enfant. J’ai vraiment dû prendre sur moi pour y retourner. Cette fois-ci, nous étions aux Etats-Unis, chez Beck. C’était un dialogue à deux, c’était plus intime. J’avais toujours ma timidité, mais il n’y avait plus le poids du passé. J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec lui. Cette année, je pense monter sur scène, même si je ne sais pas ce dont je suis capable. J’aimerais bien assurer. Il faut trouver un moyen de le faire simplement.

Parlez-en avec votre mère !
Mais c’est elle qui me pousse ! Elle m’a convaincue en me disant qu’il fallait vivre ça, que c’était dommage de s’en priver. Mais j’ai peur d’affronter les gens.

Il y a deux ans, une hémorragie cérébrale a failli vous coûter la vie. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
Après l’accident, je n’ai pas travaillé pendant six mois. J’étais immobilisée, je ne pouvais pas quitter Paris, j’étais très instable.
Il a fallu que je trouve un projet dans lequel j’allais pouvoir me plonger pour m’aérer la tête. Plus que Beck, c’est Lars von Trier qui m’y a aidée. J’échappais enfin à moi, à mes préoccupations pour me mettre au service des siennes. J’ai eu tellement peur… Je pensais que je me foutais de la mort, je ne croyais en rien. Mais quand ça a failli arriver, j’ai réalisé, après coup, à quel point j’ai eu peur. Dès que j’ai pu me reconstruire un peu, j’y suis allée en force.

Vos enfants apparaissent sur le disque…
Par hasard. Ben, mon fils, était assis derrière une batterie sans savoir qu’il était enregistré. Beck a gardé sa rythmique sur le titre, tout le monde l’a adoré. Ma fille s’est ­amusée avec l’Interphone du studio, en faisant des voix de monstres. Elles étaient parfaites.

Ont-ils conscience de ce que vous faites ?
Mon fils, oui. Ma fille est trop jeune, elle s’en fout encore. Ben, lui, est curieux, il commence à vraiment aimer la musique… Mais j’essaie de ne pas les abrutir avec ce que je fais. Je comprends le poids que cela peut être, je suis passée par là.

A quel âge avez-vous réalisé ce que faisaient vos parents ?
Je ne me souviens pas d’avant mes 12 ans. J’ai été vite reconnue pour ce que je faisais, pas uniquement par rapport à mes parents.

Vos camarades d’école savaient-ils qui vous étiez ?
Oui, bien sûr. Je me suis construit une carapace très jeune, et je ne le regrette pas. A ma demande, je changeais d’école tous les ans. Je n’avais, du coup, aucune attache. J’étais plutôt discrète, toujours de passage. C’était une ­manière de vivre tout cela de loin.

Appliquez-vous la même recette avec vos enfants ?
Ah non ! Ils me guident, j’écoute leurs envies. Quand j’étais petite, mes parents m’ont beaucoup exposée. Je n’ai pas voulu faire la même chose, l’époque a changé. Et je n’ai pas le même tempérament que mes parents. Du coup, j’ai vite eu besoin de me protéger. J’ai longtemps fui les questions personnelles… Quand j’ai eu ma propre vie amoureuse avec Yvan, puis mes enfants, je refusais d’en parler. Il m’a fallu du temps. Aujourd’hui, j’ai moins de mal à me raconter. J’ai l’impression de ne pas franchir certaines limites…

Que s’est-il passé à la séparation de vos parents ?
On a vécu des instants difficiles sous l’objectif des paparazzis. Ma mère a fermé la porte à toute tentative d’intrusion. Cela m’a appris à vivre avec les médias, à me rendre compte de ce qui était possible pour moi. Me protéger était ce qu’il y avait de mieux.

Jusqu’au premier film d’Yvan, “Ma femme est une actrice”…
Avec ce film, on s’est amusés. Il m’a appris à me détendre, à comprendre que tout n’était pas grave. Moi, j’avais tendance à tout voir en noir. Avec Yvan, la vie est beaucoup plus légère. Enfin, on pouvait rire de nous-mêmes.

A quand votre prochain film ensemble ?
On a l’espoir de tourner l’année prochaine. Mais c’est un gros ­budget, il s’est lancé dans un ­boulot énorme. Je suis fascinée par son travail.

Avez-vous vu le film de Joann Sfar consacré à votre père ?
Pas encore. Je veux prendre mon temps.

Avez-vous cautionné le projet ?
J’ai lu le scénario mais je n’ai pas voulu en savoir trop. C’est le film de Sfar, je n’ai pas à intervenir. J’ai pris du large par rapport à ça, parce que c’est trop intime. Sfar n’a pas connu mon père et c’est mieux ainsi.

Etes-vous populaire ?
Dans la rue, les gens me regardent, mais ils ne viennent pas vers moi. A l’étranger, c’est agréable, je suis totalement inconnue. Quand je reviens en France, je suis touchée par les regards. Quand on ose m’aborder, c’est fréquemment pour me parler de “L’effrontée”, c’est amusant… Mais le plus souvent, on me parle de mes parents.

Aimeriez-vous n’être reconnue que pour vous ?
Non, car je sais que je leur dois tout. Je suis tellement fière d’être leur fille ! Parfois, ça devient pesant, quand je me rends compte qu’en dix interviews j’ai plus parlé d’eux que de moi. Et puis je dois vivre avec le manque. Mon père n’est plus là. Quand je rentre chez moi après l’avoir longuement évoqué, c’est toujours douloureux. Mais je respecte beaucoup l’envie que les gens ont de me parler de lui.

Quels rapports avez-vous avec Lulu ?
Il vit à Boston, il suit des études à Berklee, je le vois peu mais je l’adore. C’est mon petit frère, même si je n’ai jamais vraiment passé un moment de vie avec lui. Mais lui et moi, nous avons le même père. C’est très fort comme lien.

Quelles relations avez-vous avec vos sœurs ?
Avec Kate, on a vécu ensemble, donc nous avons tous nos souvenirs dans la même maison. Avec Lou, j’ai vécu toute sa petite enfance de près. Je l’adorais, c’était ma poupée. A partir du moment où je suis partie de chez ma mère, je l’ai moins vue, elle est devenue ado… On s’est retrouvées quand elle est devenue mère à son tour.

Aimez-vous les réunions de famille ?
Beaucoup ! Les dîners, les Noëls… Je suis très portée sur la ­famille, très proche des uns et des autres. J’en ai besoin.

Vous vouliez installer un musée Gainsbourg dans la maison de votre père, rue de Verneuil. Où en est ce projet ?
J’ai arrêté au moment où cela allait se faire. Car, au final, j’avais besoin de la garder pour moi, rien que pour moi.

Y allez-vous parfois ?
Non. Mais je sais qu’elle existe. Je la garde telle quelle. Je trouve ça bien, de garder une partie de lui ­intime et secrète. Le reste, tout le monde se l’approprie. J’ai compris à la dernière minute qu’il y avait une limite à ne pas franchir.

Qu’est-ce qui vous rend heureuse dans la vie ?
Mes enfants, Yvan. Et quand on est tous les quatre. Point final

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