Charlotte Gainsbourg : « Je me suis libérée » (Le Parisien)

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Par Le Parisien, 07.12.2009, 07h00

IRM, le nouvel album de Charlotte Gainsbourg – Le Parisien
Trois ans après son disque (5:55), Charlotte Gainsbourg revient à la chanson dans les pas du chanteur américain Beck. Une collaboration d’où jaillit l’album « IRM ».

Elle sort aujourd’hui son nouveau disque. Visiblement épanouie, l’actrice et chanteuse a répondu aux questions de nos lecteurs sur ses parents, sa carrière, son accident cérébral…

« On est en retard ? » Pas du tout. Charlotte Gainsbourg arrive pile à l’heure vendredi dernier dans les locaux de notre journal pour une rencontre avec six de nos lecteurs. La chanteuse et comédienne vient défendre son nouvel album, « IRM », qui sort aujourd’hui, trois ans après le succès de « 5 : 55 », vendu à l’époque à près de 250 000 exemplaires. A 38 ans, l’actrice vit une année exceptionnelle : un prix d’interprétation à Cannes pour le sulfureux « Antichrist » de Lars von Trier, un disque ambitieux, le film de Patrice Chéreau « Persécution » (avec Romain Duris), en salles mercredi, et enfin le long-métrage consacré à son père, prévu en janvier.

De tout cela, la fille de Serge Gainsbourg et de Jane Birkin a accepté de parler. Le temps de sortir un sachet de thé de son sac et de faire les présentations. Julien était d’amoureux d’elle quand il était ado. « Maintenant ça va mieux », la rassure-t-il. Caroline a quitté le lycée Molière juste avant elle. « Oh ! Moi, j’ai fait des allers-retours là-bas », précise la chanteuse. La curiosité des lecteurs emballés par cette femme épanouie qu’ils ont vue grandir depuis vingt ans est savoureuse. « C’est la première fois que je fais cela et j’ai beaucoup aimé l’exercice, reconnaît Charlotte Gainsbourg après coup. C’est différent des interviews avec les journalistes. Là, on sent que les questions sont sincères. Enfin, euh non… C’est pas ce que je voulais dire ! » Pas grave, Charlotte. On vous pardonne tout.

JULIEN BOUCLET. En quoi cet album est-il différent du précédent ?
Charlotte Gainsbourg. C’est une nouvelle direction. L’album possède l’identité du musicien américain Beck qui a écrit, composé et produit les chansons, mêlée à la mienne. Le précédent portait la patte du groupe Air avec qui j’ai enregistré à l’époque (NDLR : en 2006). Beck a une facilité à utiliser plein de styles différents et je ne souhaitais pas m’enfermer dans un son. Avec lui, je comptais tout essayer. On a par exemple tenté un rap qui était très mauvais, j’étais assez nulle ! Sur certains titres, je ne me reconnais pas. On s’est beaucoup amusés.

JULIEN BOUCLET. Pourquoi un album encore quasi exclusivement en anglais ?
Sans mon père, j’ai beaucoup de mal à m’imaginer chanter en français. Pour ce disque, j’ai essayé d’écrire, Beck n’arrêtait pas de me pousser. Mais j’ai un blocage, et puis je ne suis pas modeste, je n’ai pas envie de faire moins bien que mon père. Donc la barre est un peu haute. Même pour refaire de la musique, je ne me l’autorisais pas avant. J’ai eu beaucoup de mal à m’avouer que c’était quelque chose que je désirais.

ADELINE BISOGNIN. Vous sentez-vous un peu anglaise ?
Oui, mais j’ai un complexe par rapport aux Anglais. Pourtant je suis née là-bas, ma mère m’a transmis beaucoup de sa culture. J’ai appris l’anglais très tard, c’était ma deuxième langue. J’étais très têtue, j’avais un accent français très fort.

ADELINE BISOGNIN. Votre mère ne vous parlait pas anglais à la maison ?
Non, parce qu’elle débarquait en France, elle apprenait le français. Mon père au départ ne comprenait pas l’anglais. Donc, elle ne voulait pas d’un langage secret entre nous. C’est venu très tard, quand j’ai tourné dans le film de mon oncle (NDLR : « Cement Garden » d’Andrew Birkin en 1992). J’ai pris des cours avec une coach. Mon accent est fabriqué, ce n’est pas le mien, je l’ai travaillé. C’est un peu comme si je faisais semblant. Et puis je n’ai pas assez de vocabulaire. J’ai essayé d’écrire en anglais pour l’album, mais je suis limitée.

FRANÇOISE LARIVIERE. Pourquoi avoir choisi ce titre d’album, « IRM », un peu lourd de sens, après votre accident vasculaire cérébral dû à une chute en jet-ski en 2007 ?
Pour moi, il ne l’est pas. Bien sûr, cela va avec quelque chose de grave qui m’est arrivé. Après l’accident, j’ai eu beaucoup d’IRM à passer. Mais ce n’est pas un souvenir noir. J’ai eu une inspiration pendant ces examens, quand j’étais dans cette machine, j’entendais ces sons. C’était sans doute une échappatoire pour les supporter. Mais j’imaginais un rythme, quelque chose de musical. Pendant l’enregistrement de l’album, j’étais par exemple très excitée par les rythmes africains. C’étaient des percussions et a posteriori je pense que c’était dans la même lignée que l’IRM.

ADELINE BISOGNIN. En quoi cet accident a-t-il changé votre vie ?
Ça a été difficile de m’en remettre. J’ai pris beaucoup de temps à ne plus avoir la trouille, à me calmer à nouveau. On est très fragilisé, déstabilisé. Il faut vraiment se reconstruire après. C’est assez court le moment de choc, où on est heureux d’être encore en vie. On regarde les choses très différemment pendant quelques mois, et puis après on redevient normal. C’était génial de pouvoir se plonger dans l’album, neuf mois après cet accident. Et ensuite je suis allée tourner « Antichrist » de Lars von Trier. Je n’avais qu’une envie, c’était de m’oublier, de me retrouver à la limite dans quelque chose de plus grave que ce qui m’était arrivé.

CAROLINE ROUVROY. Etes-vous devenue hypocondriaque ?
Je l’ai été juste après. Le moindre mal de tête me donnait l’impression que j’allais mourir. Alors qu’avant pas du tout. Au contraire, je n’ai jamais eu peur pour moi. Mais cela fait plusieurs fois que je me blesse en pratiquant des sports de glisse. Je m’étais cassé une vertèbre en faisant du snowboard. Je commence à être un petit peu plus vigilante.

JULIEN BOUCLET. Allez-vous enfin faire des concerts avec ce disque ?
J’en ai très envie. Après cet entretien, je pars répéter avec un groupe de musiciens formé par Beck, et petit à petit essayer de m’accoutumer un peu. Je l’ai fait trois fois avec le groupe Air, mais je chantais juste deux titres. C’était terrifiant d’avoir à attendre tout le concert pour entrer en scène et repartir avant même de pouvoir se détendre. Ma mère m’a dit que j’avais fait le pire. Elle me pousse beaucoup à vivre cela.

FRANÇOISE LARIVIERE. Qui de votre père ou de votre mère vous a le plus influencée dans vos choix artistiques ?
C’est très dur… Je ne sais pas. A mon âge, on peut faire sans ses parents. Même au départ, il n’y avait pas d’influence directe de leur part. J’étais tellement jeune que l’idée était de prendre le large, de vivre mes propres aventures. A 12 ans, on m’a permis de faire un film, je suis allée toute seule au Canada (NDLR : pour « Paroles et musique » en 1984).
J’avais ma chambre d’hôtel. Je suis très reconnaissante à mes parents de m’avoir laissée aussi libre. C’était pareil pour « l’Effrontée » (NDLR : en 1985), je suis partie tout l’été au sein d’une équipe, c’était que du plaisir, des vacances.

MICHEL CLEMENT. Comment avez-vous géré votre héritage familial ?
J’ai traversé plusieurs périodes. Au tout début, quand je faisais des interviews et qu’on ne me parlait que de mes parents, je refusais de répondre en bloc. C’était sans doute trop lourd à porter. Je ne voyais pas pourquoi il fallait parler d’eux tout le temps. Maintenant, je me suis libérée, détendue par rapport à cela. Je sais l’amour que le public a pour eux, je ne peux qu’être heureuse de ça. Même s’il y avait des moments où c’était trop. Les gens ne se rendaient pas compte que je venais de perdre mon père par exemple. Et maintenant, ça dépend comment je me réveille le matin. Aujourd’hui, ça va ! (Rires.)

JULIEN BOUCLET. Cet héritage ne doit pas être facile. Avez-vous réalisé un travail sur vous-même ?
Vous voulez dire : parler à un psy ? Ah… mais bien sûr. (Rires.) Pour d’autres raisons que l’héritage de mes parents. Je suis très humaine !

ADELINE BISOGNIN. A l’époque de la chanson « Lemon Incest », en 1984, ma maman était très choquée par le clip. Moi, je vous défendais. Comment avez-vous vécu la polémique ?
J’ai été complètement protégée. Le hasard a voulu qu’à cette époque-là je demande à partir en pension. J’étais en Suisse, cloîtrée dans une école à l’abri de tout. Donc, je n’ai absolument pas vu le scandale. Quand je suis revenue, c’était terminé. C’est un souvenir génial pour moi. J’avais eu envie de faire cette chanson, je comprenais très bien le sens du texte.

CAROLINE ROUVROY. Que pensiez-vous des provocations de votre père ?
A l’école, ce n’était pas facile, on m’a un peu cherchée, mais j’ai su me protéger, j’avais une carapace. Cela ne m’atteignait pas trop. Et surtout, je voyais bien qui il était en dehors de ses provocations. Il avait une grande timidité. Mais je n’ai jamais été choquée. Par exemple, ce qu’il avait dit à Whitney Houston (NDLR : « Je veux te baiser », dans « Champs-Elysées » de Michel Drucker) m’avait fait rire.

JULIEN BOUCLET. On a beaucoup parlé de provocation autour de votre dernier film, « Antichrist ». Personnellement, je ne l’ai pas vu pour ne pas vous découvrir dans des scènes trop difficiles.
Mais pourquoi ? Parce que j’ai une image sage et qu’il faut que je reste comme ça ? C’est bien d’essayer de surprendre, pas forcément dans le bon sens. Je ne l’ai pas fait pour aller contre mon image. Mais je voulais me pousser moi-même, pour vivre des choses extrêmes. Ce métier, ce n’est que de la découverte. Et puis avec ce metteur en scène, j’y serais allée les yeux fermés.

MICHEL CLEMENT. Avez-vous vu le film sur votre père, « Gainsbourg, vie héroïque », qui sort le 20 janvier ?
Non, et je ne veux pas le voir tout de suite pour ne pas avoir à en parler. L’idée me plaît, on a donné toutes les autorisations. Au départ, j’ai discuté avec le réalisateur Joann Sfar, je lui ai prêté la statue de « l’Homme à tête de chou » et il a pu filmer le porche de la maison de mon père. Mais dès que c’est devenu concret, avec un scénario, je n’y arrivais plus. Il s’est débrouillé tout seul.

JULIE-MARINE THOMAS. Est-il vrai qu’il vous avait proposé un rôle dans le film ?
Oui, il m’a proposé de jouer mon père. C’était assez troublant, ça m’a tellement surprise que je n’ai pas dit non. Et j’ai vécu un été en me disant : « Peut-être… Cela me permettra de faire un travail psychologique sur moi. » Au final, j’étais beaucoup trop troublée et j’ai laissé tomber.

MICHEL CLEMENT. Que pensez-vous de l’interdiction de l’affiche du film dans le métro, à cause de la cigarette ?
Si c’est la loi, il ne faut pas faire d’exception. En même temps, je n’imagine pas mon père sans cette image-là. Cela dénature sa personnalité. Moi j’arrête, je prends des chewing-gums à la nicotine, c’est une merde ce truc !

MICHEL CLEMENT. Avez-vous toujours envie de faire un musée dans sa maison, rue de Verneuil ?
Non, j’ai tout arrêté. J’ai essayé pendant dix-huit ans. Au moment où les choses commençaient à se débloquer, il y a eu l’exposition sur mon père à la Villette, la préparation du film, je faisais visiter la maison et j’avais l’impression d’être un agent immobilier. Je n’en pouvais plus. Il fallait que je garde une chose à moi, un peu de secret, d’intimité alors que tout le monde sait tout de lui.

ADELINE BISOGNIN. Etes-vous proche du « petit Lulu », le dernier fils de votre père ?
Ah oui ! Il est très grand. Je suis très proche de lui, j’ai une grande affection pour Lulu, mais il est loin. Il est à l’université de Berklee à Boston. Je le vois rarement, mais il est venu à Los Angeles pendant l’enregistrement de l’album.

FRANÇOISE LARIVIERE. Vous avez été dirigée par votre compagnon, Yvan Attal, dans « Ma femme est une actrice » et « Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Est-ce que l’inverse vous tenterait ?
Ah oui, j’y ai pensé. J’aimerais beaucoup, mais pour l’instant je ne peux pas m’improviser metteur en scène. Je n’ai pas une vraie vocation, ce serait juste pour le filmer lui.

CAROLINE ROUVROY. Parlez-vous boulot à la maison ?
On ne parle que de ça ! (Rires.)

CAROLINE ROUVROY. Etes-vous une maman exigeante avec vos deux enfants, Ben, 12 ans, et Alice, 6 ans ?
Oui, je pense. Trop. Je le regrette.

JULIEN BOUCLET. Leur donnez-vous une éducation différente de celle que vous avez reçue ?
Dernièrement, je me suis dit que je n’étais pas assez costaude, que je ne leur montrais pas une image assez forte alors que pour moi mes parents étaient des piliers.

CAROLINE ROUVROY. Les emmenez-vous au cinéma, leur faites-vous écouter de la musique ?
Mon fils s’est fait sa culture musicale tout seul. J’étais assez étonnée de le voir écouter les Doors quand il avait 8 ans.

FRANÇOISE LARIVIERE. S’ils ont envie de suivre une carrière artistique, que direz-vous ?
Je serais très heureuse. Ma mère ne m’a transmis que des choses positives sur le métier d’actrice. Je ne l’ai jamais entendue râler. Cela donne envie. Moi, je râle plus avec mes enfants. Mais j’espère que je serai assez ouverte d’esprit pour les lâcher sans avoir trop peur.

JULIEN BOUCLET. Vous ne prenez pas part au débat public, vous ne vous engagez pas en politique. Pourquoi ?
Je cherche une grande cause dans laquelle m’impliquer. A un moment, je me suis rapprochée d’une association qui s’occupait d’enfants en Afrique. Mais le fait de ne pas y aller me donnait le sentiment que c’était mensonger d’en parler sans savoir. Ma mère est un modèle incroyable, cela fait longtemps qu’elle est en relation avec Amnesty International. Politiquement, ce n’est pas du tout mon truc de m’exprimer. Je descends juste dans la rue quand il s’agit d’éliminer Le Pen, c’est facile !

MICHEL CLEMENT. Si vous n’aviez pas été Charlotte Gainsbourg, qu’auriez-vous fait ?
Je ne sais pas… J’ai fait une école de dessin parce que je voulais entrer aux Beaux-Arts. Après, il fallait choisir entre les films et les études. Je pense que j’aurais adoré un métier d’effort, comme ce que je vois des danseuses, l’effort mêlé à la douleur. Ça, ça me plaît.

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