Charlotte Gainsbourg : « Je suis souvent seule avec les enfants » (Elle Magazine)

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Charlotte Gainsbourg a le sourire : elle prépare un album, vient de terminer le tournage de « La promesse de l’aube » et retrouve Gerard Darel pour une nouvelle campagne… Surtout, elle vit depuis deux ans à New York, un dépaysement en forme de renaissance.

Par Stéphanie Chayet, Elle Magazine, 30 septembre 2016

Elle s’était installée à New York le coeur gros, après la mort de sa soeur aînée, la photographe Kate Barry. Besoin de changer d’air. Deux ans plus tard, les éclats de rire de Charlotte Gainsbourg témoignent des bienfaits de cet exil volontaire. Ancrée à Manhattan par la scolarité de ses enfants, inscrits dans des écoles américaines, l’actrice française tourne moins et profite davantage de la vie – tout en assurant la nouvelle campagne Gerard Darel. « Ici, je ne fais pas gaffe aux autres, lâche-t-elle, cheveux ébouriffés, toujours juvénile en jean et baskets, dans le mobil-home où elle s’est préparée pour la séance photos. Mes habitudes sont devenues plus égoïstes, dans le bon sens. » Ses nouvelles priorités ? Dessiner, cuisiner, faire du sport, emmener ses filles [elle a aussi un fils en Grande-Bretagne, ndlr] à l’école et fignoler son cinquième album, qui sortira… elle ne sait quand. Provisoirement affranchie de son héritage, libre de ses mouvements, Charlotte Gainsbourg apprend à se laisser vivre, à 45 ans. Au pied du pont de Brooklyn, elle partage ses adresses new-yorkaises et raconte son apaisement.

ELLE. Qu’attendiez-vous de cet éloignement ?
Charlotte Gainsbourg. De pouvoir ouvrir les yeux à nouveau. Et je me suis surprise à retrouver ma curiosité. Je n’étais pas amoureuse de New York avant de m’y installer, mais je m’y attache en la découvrant, et c’est ça qui me rend heureuse. C’est de plus en plus fort.

ELLE. Pourquoi avoir choisi cette ville qui ne vous attirait pas spécialement ?
C.G. J’essayais de fuir mes attaches affectives parce que ma soeur venait de mourir, donc il était hors de question de partir pour Londres. Los Angeles, ce n’est pas mon truc – la douceur de vivre dont les gens parlent, moi je ne la ressens pas. Il restait New York. C’était un choix pratique.

ELLE. Comment la ville vous a-t-elle surprise ?
C.G. Je ne m’attendais pas à me l’approprier aussi facilement. C’était quand même totalement étranger, dépaysant, et je n’étais pas très à l’aise au début. Aujourd’hui, je m’y sens chez moi. C’est arrivé sans aucun effort. Sûrement parce qu’on n’est pas les seuls immigrés ! Ici, tout le monde parle avec un accent. Et puis je trouve les New-Yorkais très accueillants, très heureux de partager leurs adresses, de conseiller ci ou ça. Les gens nous aident.

ELLE. Qu’est-ce qui vous manque ?
C.G. La famille que j’ai laissée en France : ma mère, ma soeur Lou. Mon fils n’est pas avec nous, il est en Angleterre – c’est normal, il a 19 ans. [Rires.] On vit un peu un éclatement.

ELLE. Et Paris ?
C.G. La ville ne me manque pas encore. Je suis sûre que j’y reviendrai un jour, mon attachement à la France est très grand. Mais c’est justement ce que j’aime dans le fait d’être loin : on sent mieux ses attaches. Et puis, ici, je me sens moi-même. À Paris, je ne savais plus trop qui j’étais.

ELLE. Êtes-vous plus anonyme ?
C.G. Ah oui, complètement anonyme ! En plus, j’arrive vraiment à oublier ma notoriété – je suis toujours surprise lorsqu’on me reconnaît. Quand ça arrive, les gens me parlent des films de Lars [von Trier, ndlr], pas de mes parents. Je ne suis pas du tout venue pour fuir leur célébrité, mais je découvre ce que c’est d’être la fille de personne. [Rires.] C’est pas mal. Quand je retourne en France, les déclarations d’amour pour mon père, pour ma mère me touchent d’autant plus. Je recommence à apprécier ce qui était devenu un peu pesant au bout de quarante-cinq ans.

ELLE. Où vous êtes-vous fixée ?
C.G. D’abord dans le West Village, puis à Tribeca, où on habite depuis plus d’un an. Je rêvais de vivre dans un loft, de faire cette expérience. Je suis aussi beaucoup à Soho. C’est un paysage que j’adore : les rues pavées, les échelles d’incendie, je trouve ça très beau. Je ne suis pas du tout blasée.

ELLE. À quoi ressemblent vos journées ?
C.G. C’est un quotidien très simple, centré sur la famille et sur l’école. Comme Yvan [le réalisateur Yvan Attal, son mari, ndlr] fait beaucoup d’allers-retours, je suis souvent seule avec les enfants.

ELLE. Est-ce l’occasion d’essayer de nouveaux modes de vie ?
C.G. L’avantage d’être aussi anonyme, c’est que je suis libre ! J’ai une vie beaucoup plus extérieure. À Paris, j’avais un vélo, mais je ne m’en servais jamais, alors qu’ici je l’utilise pour tout. Je fais aussi des kilomètres à pied sans m’en rendre compte, en toute saison. Comme c’est un climat un peu excessif, on vit avec le froid, avec la chaleur, on se sent plus vivant.

ELLE. Que vous inspire la France depuis votre exil lointain ?
C.G. Je me sens connectée parce que j’écoute les infos en français et qu’Yvan y est beaucoup, mais je trouve que j’ai moins le droit d’en parler en étant ici. On vit une époque terrifiante.

ELLE. Vous avez tourné une comédie sur l’antisémitisme avec votre mari, est-ce un sujet qui vous préoccupe ?
C.G. Oui, ça m’inquiète beaucoup. Pendant longtemps, je n’ai pas voulu me méfier, je n’ai pas vraiment compris le danger. Bien sûr, je vis avec Yvan, et je sentais bien qu’il avait raison de s’inquiéter, mais c’est seulement quand ça a surgi dans l’actualité que j’ai vraiment ouvert les yeux. J’ai compris que ce n’est pas près de partir, en fait.

ELLE. Vous travaillez sur un album depuis trois ans. Peut-on espérer le découvrir bientôt ?
C.G. C’est un très long processus, beaucoup plus long que pour les précédents. Avec Beck, je m’étais laissé porter, il m’avait livré un package. Pareil avec Air. Cette fois-ci, je travaille avec un musicien, mais j’ai mon mot à dire, c’est une vraie collaboration. J’ai vraiment accouché de cet album et c’est beaucoup plus dur à finir.

ELLE. Qu’est-ce qui vous en empêche ?
C.G. Comme personne n’est là pour me dire : « Cette prise était la bonne, on arrête », je veux toujours mieux faire. En plus, au bout d’un certain temps, le truc date un peu, alors on a envie de nouveauté, et c’est sans fin. Il faut vraiment qu’il sorte. Mais je veux d’abord réenregistrer mes voix. [Rires.]

ELLE. Et le cinéma ?
C.G. C’est devenu un peu compliqué de tourner. J’ai une fille de 13 ans qui ne peut pas rater l’école comme ça. Pour peu qu’Yvan soit occupé à Paris, ça devient très difficile à gérer. En même temps, ça tombe bien, parce que mes priorités sont en train de changer. J’ai eu une certaine boulimie de tournages à une époque, mais j’en ai moins envie en ce moment. Je viens de passer trois mois sur un film, « La Promesse de l’aube » [d’Eric Barbier, avec Pierre Niney, ndlr], qui m’a demandé un énorme investissement. C’était tellement costaud que je n’ai pas envie de me replonger dans d’autres projets trop tôt.

Charlotte Gainsbourg par © Steven Pan, Elle Magazine, Septembre 2016

ELLE. Côté mode, vous avez repris du service pour Gerard Darel…
C.G. Danielle Darel venait de racheter sa marque, elle m’a vue dans un magazine, elle a aimé ma nouvelle coupe de cheveux, et elle m’a appelée. Ces retrouvailles m’ont fait plaisir [elle a été égérie de la marque de 2003 à 2008, ndlr]. Que ce soit avec Nicolas Ghesquière, le directeur artistique de Louis Vuitton, ou avec elle, les liens sont avant tout personnels.

ELLE. Avez-vous noué de nouvelles amitiés à New York ?
C.G. Non, mais je ne suis pas quelqu’un de facile. Je ne pense pas être très ouverte, je ne parle pas aisément. Je ne peux pas dire que j’en souffre.

ELLE. À quoi ressemble votre vie sociale ?
C.G. Elle n’était déjà pas très développée à Paris. Ici, c’est pareil. Je ne cherche pas à sortir davantage. Je vais au restaurant, mais la vie mondaine new-yorkaise ne m’a pas tentée. Je crois qu’il n’est pas dans ma nature d’être très festive.

ELLE. Vous avez déclaré que vos parents ne vous ont pas appris à vivre joyeusement…
C.G. Je devrais nuancer : ils avaient certes le goût de la noirceur dans le domaine artistique, mais ils ont vécu les années 70 et le début des années 80 avec énormément d’insouciance et de légèreté. Ils sortaient tout le temps, ils faisaient la fête, c’était très joyeux. Ce qu’ils ne m’ont pas appris, en tout cas, c’est à prendre soin de moi. Tout ce côté « être bien dans sa peau », c’est un truc qui m’est totalement étranger. [Rires.]

ELLE. Une conquête de l’âge adulte ?
C.G. Oui, et je ne suis pas au bout du chemin. Ce qui est terrible, c’est que je deviens enfin à l’aise avec mon corps au moment où il est en déclin. Tout arrive trop tard ! En même temps, ça veut dire qu’on peut aller vers un apaisement.

Cette interview a été publiée dans le ELLE du vendredi 30 septembre.

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