Charlotte Gainsbourg n’est « plus aussi timide »

0

Mercredi, elle ouvre le 70 e festival de Cannes avec Marion Cotillard. Ses projets, les élections, ses blessures : Charlotte Gainsbourg s’est confiée à la NR.

Propos recueillis par Jacques Brinaire, La Nouvelle République, 14/05/2017

Elle a atterri le matin même de New York et, si elle assure que ça va, qu’elle le fait souvent et qu’elle est habituée, elle demande à ne pas être prise en photo. Charlotte Gainsbourg est si adorable qu’on n’a guère envie de parlementer. Pantalon noir, chemisier blanc, elle demande un thé d’une voix à peine audible, presqu’en s’excusant. Mais qu’on ne s’y trompe pas : la petite jeune fille effacée est devenue une femme resplendissante qui décide, en conscience, du chemin qu’elle compte suivre.

Vous êtes à l’affiche des « Fantômes d’Ismaël », le dernier film d’Arnaud Desplechin. Qu’est-ce qui vous a séduite dans cette histoire d’amour ?
J’ai toujours aimé le cinéma d’Arnaud Desplechin. D’ailleurs, je lui avais même écrit car j’avais envie de travailler avec lui.

Vous faites souvent ça ?
Non, pas du tout. Je l’ai fait pour Polanski et Pialat. Arnaud m’a répondu aussitôt : «  C’est étonnant, je viens d’écrire un rôle pour vous  ».

Est-ce qu’il y a quelque chose de vous dans ce personnage ?
Oui, mais peut-être de la Charlotte d’avant. Je ne suis plus aussi timide. J’ai vieilli, j’ai moins peur et je ne suis pas prude comme Sylvia.

Vous souvenez-vous de moments difficiles sur le tournage ?
Non. Mais je n’aime pas les scènes face caméra : c’est affreux parce qu’on se voit. C’est comme un miroir et c’est très pénible. Par ailleurs, j’avais beaucoup de scènes d’émotion, il y a toujours un risque. On ne sait pas si on va réussir à aller là où on vous demande d’aller, à ce que les larmes soient vraies.

Quand vous devez pleurer, vous vous mettez vraiment dans un état de tristesse profonde ?
Oui, et j’aime beaucoup disparaître dans la tristesse : c’est un peu pervers et narcissique, mais je l’accepte car c’est dans le cadre du travail. 

Qu’est-ce qui vous a étonnée chez Mathieu Amalric et Marion Cotillard ?
La timidité de Mathieu, sa candeur. Quant à Marion, j’aurais aimé avoir davantage de scènes avec elle : elle est tellement sympathique, charmante, belle.

Le film fait l’ouverture du 70e Festival de Cannes mercredi prochain, vous appréhendez ?
Pas du tout ! J’ai déjà fait la clôture en 2010 avec L’Arbre de Julie Bertucelli. Là, je l’ouvre : la boucle est bouclée. C’est très sympathique, très léger. Les gens seront dans l’enthousiasme du démarrage, pas encore fatigués et puis c’est hors-compétition.

Vous dites que c’est léger et sympathique, mais a-t-on de mauvais souvenirs de Cannes ?
Pour Melancholia, tout avait bien commencé et ça s’est très mal terminé… (*) Heureusement, j’étais enceinte et j’avais la tête ailleurs. Il y a aussi ce moment avec Charles Vanel, en 1986, où nous symbolisions deux générations du cinéma. J’avais 14 ans et j’étais très mal à l’aise. Enfin, le plus mauvais souvenir c’est en 2001. C’est l’année où j’étais dans le jury et il se trouve que j’ai fait une fausse-couche. Je sais, c’est très intime de dire ça comme ça, mais ça a terni l’image que j’avais de Cannes. 

« Ma mère me dit qu’enfant je n’étais pas timide »

Vous avez été exposée très jeune à la notoriété, mais vous avez quand même choisi d’être comédienne et chanteuse…
Je pense que je n’étais pas timide enfant. En tout cas, c’est ce que me dit ma mère. Je le suis devenue à l’adolescence, quand sont arrivés les complexes. Je ne me souviens plus trop de ce que j’avais dans la tête alors, mais j’étais très mal. Je faisais des films avec grand plaisir, mais les émissions de télé étaient des cauchemars, comme les apparitions publiques.

Même pour recevoir le prix d’interprétation pour Antechrist en 2009 ?
Ah ! Non, ça, c’était une des choses les plus exaltantes qu’il m’ait été donné de vivre et une surprise totale en plus ! J’étais déjà rentrée à Paris quand on m’a demandé, par téléphone, de redescendre. Et puis j’étais fière du film, c’était très joyeux. 

Pourquoi êtes-vous partie vivre à New York ?
Parce que j’ai perdu ma sœur : il fallait que je change de paysage et j’en ai encore besoin. Un jour, j’aurais le désir de revenir, tous mes souvenirs sont ici. Mais c’est encore trop tôt. 

C’est agréable l’anonymat ?
Oui, très. Mais je me souviens que, plus jeune, quand je râlais tout le temps parce qu’on ne pouvait aller nulle part sans être reconnus, mon père me disait : «  Fais attention ! Le jour où ils ne te reconnaîtront plus, tu verras que tu auras les boules  ». Et puis je ne peux pas me plaindre, les gens sont très gentils avec moi, bienveillants, je n’ai jamais eu de horde de paparazzi aux fesses. Ce qui est bien, à New-York, c’est que quand on m’aborde, c’est toujours pour mon travail : les films ou la musique. Ce n’est jamais par rapport à mes parents. Même si je suis très reconnaissante envers eux et que je les admire énormément, ça fait du bien à mon égo qu’on me félicite pour moi. 

Vos enfants sont dans des écoles françaises ?
Non non, américaines et Ben, mon fils aîné, est en Angleterre. On est un peu éparpillés.

Vous avez suivi les élections ?
Bien sûr, j’ai même voté. Aux USA, l’élection de Trump a été très pénible et ça l’est encore : ça fait partie du quotidien des Américains et à New York, les gens étaient extrêmement déprimés. Moi, je pensais qu’il allait être destitué très vite, mais on attend encore. Ici, en France, le résultat est plus heureux.

Il y a longtemps que vous n’avez plus fait de musique !
Eh bien même si ça m’a pris beaucoup de temps, j’ai un disque qui sort en octobre. J’ai écrit les paroles et la musique est signée Sebastian. Il y aura des textes en anglais et une majorité en français. Je n’ai pas encore trouvé le titre. Dans la foulée, je remonterai sur scène.

Et au cinéma, vous avez d’autres projets ?
Oui, un film dont je suis très fière et qui sort en décembre, Les Promesses de l’aube de Romain Gary avec Pierre Niney.

Entre-temps, vous retournez à New York ?
Oui, pour aller dans des musées, être dans la vie, avoir davantage de temps pour profiter de ma vie de famille, faire tout ce que je ne faisais plus à Paris. Là-bas, je ne vais pas trop au cinéma, je suis loin de tout ça.

(*) En conférence de presse, Lars Von Trier avait déclaré comprendre Hitler, l’homme, et compatir avec lui.

 

Comments are closed.