Bouleversante de grâce dans le formidable « Trois cœurs », de Benoît Jacquot, Lady Gainsbourg se confie à nous comme elle ne l’a presque jamais fait. Rencontre.
Publié dans Elle, Août 2014
Sur la façade du 5 bis, rue de Verneuil badigeonnée de noir, une fille en short trace un graffiti au feutre rouge. Sous la lumière d’été, le cénotaphe a des airs de décombres. A un bloc de là, Charlotte Gainsbourg boit du thé fumé à l’hôtel Montalembert. « Il faut que je trouve un moyen de lâcher. Je dois admettre que je ne peux pas m’en occuper. J’ai cette obligation, mais une obligation de quoi ? »
Si la voix est douce, les mains enserrant la tasse ont une force, une solidité carrée qui contredit la fragilité apparente. « Les gens aiment ce lieu… » Les doigts robustes, les ongles larges, un peu bombés, sont ceux de Kate Barry. « C’est pesant. Ma sœur… Moi… Toute notre enfance se passe là… Je n’en peux plus des mausolées. » Elle dit cela sans affect, en détachant chaque syllabe mé-ti-cu-leu-se-ment. Sa sœur n’aimait pas la rue de Verneuil et son écorché grandeur nature, devant les yeux exorbités duquel il fallait passer pour rejoindre leurs chambres ou monter dans celle des parents.
Rien ne bouge au 5 bis, où la poussière poudre souvenirs et secrets. Oublié le musée que Charlotte Gainsbourg voulait y créer. François-Henri Pinault et Jean Nouvel l’avaient pourtant aidée à bâtir un projet. « Lorsque c’est devenu possible, j’ai tout arrêté. Soudain, je ne voulais plus partager ce lieu, je voulais le garder pour la famille. » Le visite-t-elle souvent ? Le visage se relève : « C’est lourd d’y aller. Très pesant ! » Une malice détend ses traits. « On a l’impression qu’“il” va arriver. C’est un bel écrin qui dégage une magie, mais on voit que vingt ans ont passé. » Elle entoure la tasse de ses longs doigts, comme on s’accroche à une barre. Puis, de nouveau impassible : « Tout est absolument oppressant et insupportable. » Un vieil ami de son père, auquel elle confiait sa difficulté à se séparer du repaire de son père : « Qu’est-ce que t’en as à foutre ? Vends ! » lui a-t-il ordonné. « Je suis paralysée. » La rue de Verneuil, c’est un peu la rue Cambon de son clan.
Elle ressemble à Patti Smith version Mapplethorpe
Aujourd’hui, elle porte les basiques androgynes qui sont sa marque, jean, chemise Current/Elliott à carreaux indigo, les manches roulées au-dessus du coude, et Stan Smith. En guise de sac à main, elle est venue avec un MacBook Air, un casque Beats Studio by Dr. Dre dans son étui de transport noir et rouge et une petite trousse en toile imprimée. Le jean dessine des fesses parfaites et des hanches de garçon.
Dans « Trois coeurs », mélodrame de Benoît Jacquot dont elle fait la promotion dans un Paris désert, elle porte le même jean, la chemise, cette fois, est en voile blanc sur soutien-gorge noir. Elle ressemble à Patti Smith version Mapplethorpe : chevelure hirsute qui ferme le regard comme un store, mains dans les poches… Elle s’étonne de la comparaison, dit que ce n’est pas prémédité. Dans le film de Benoît Jacquot, elle a pour sœur Chiara Mastroianni et pour mère Catherine Deneuve. Les deux sœurs sont amoureuses du même inspecteur des impôts (Benoît Poelvoorde). Charlotte est la bad girl qui séduit son beau-frère, Chiara l’épouse modèle.
« Oh ! Cette photo avait été prise pour le ELLE, j’avais oublié ! Je l’aime beaucoup », dit Charlotte, en examinant une image d’elle et de son père illustrant le premier article publié sur elle en 1985 dans ELLE. Signé de Gainsbourg en personne, qui souligne la « distinction innée » de sa fille de 13 ans, pensionnaire en Suisse. « Elle a tous les atouts pour être une star de la mode : une grâce, une élégance, le chic aristocratique anglais », confirme Marc Audibet, premier designer à avoir décelé son potentiel de mannequin pour une campagne Ferragamo, publiée dans le ELLE américain il y a quinze ans. Une série où elle est habillée en femme, non en garçonnet. « Gilles Bensimon avait fait d’elle une sorte de Monica Vitti, les photos étaient superbes », dit Audibet.
Elle a le chic de la noblesse anglaise
Charlotte Gainsbourg est une des rares filles de stars à avoir quelque chose en plus : cette grâce inexplicable qu’est l’élégance. Comme Vitti, elle a une beauté irrégulière : ses imperfections donnent du chic à son visage. Elle a le chic flegmatique des Anglais qui semblent avoir dormi tout habillés. Cette classe innée lui a été fournie à la naissance avec un pedigree aristo. David, grand-père maternel de Charlotte, est le petit-fils du baron Thomas Birkin. Selon le Peerage, le Bottin de la noblesse anglaise, il a été éduqué à Harrow comme Churchill, Nehru et tous les hommes de cette famille de soldats. La cousine de David, la sublime Winifred Birkin, a été la maîtresse du prince de Galles avant qu’il ne s’éprenne de Wallis Simpson. Lieutenant-commandant de la Royal Navy, David Birkin bénéficiait d’un uniforme fort chic : chemise bleu clair, blazer à galons et boutons dorés, caban, chaussures blanches pour la parade… Styliste née dans « Blow-Up », sa fille Jane traverse la Manche et les sixties pour inventer Gainsbourg en l’affublant des codes juvéniles du clan Birkin : Repetto blanches, chemise de scout, caban, blazer de la Marine. Charlotte a repris le legs : dès son premier film, son uniforme de petit matelot androgyne obéit à ces codes ambigus. « Pour « L’Effrontée”, de Claude Miller, la costumière était venue dans ma pension voir mes vêtements. » La chemise d’homme oversize rentrée dans la jupe en jean riquiqui, la marinière, les tennis dépenaillées habillaient son personnage de Zazie. « Dans ma vie quotidienne, je ne porte que des jeans. Rien d’autre. » Et lorsqu’il fait très chaud ? « Des shorts. »Puis en riant : « Des shorts en jean ! »
« Vivre dans un corps de femme, je n’ai pas osé »
Ce vestiaire sans effort a engendré un archétype de la coolitude dans lequel de sveltes quadragénaires nourries de fibres et de blancs de poulet se simplifient la vie avec un « air de rien » facile à vivre. Sur le « rien » de Charlotte, sur la page blanche de l’androgynie, chacun peut projeter ce qu’il veut. « Vivre dans un corps de femme, je n’ai pas osé », dit-elle. Elle prétend que les robes ne lui vont pas, qu’elle n’aime pas ses mollets. Ni ses seins, d’ailleurs. Qu’un vestiaire, c’est aussi une manière de s’accommoder d’une silhouette. « En robe, j’ai l’air d’une gourde. » Les photos de Bensimon lui opposent un démenti formel. Manteau et jupe beige, cheveux dégageant une nuque délicate, elle est féminine, malicieuse et superbe. Ces images démontrent que l’androgynie n’est pas son seul emploi, y compris au cinéma. « J’ai toujours eu l’impression que je ratais un cap. Femme-femme, je n’ai pas eu. Je suis passée d’adolescente attardée à… » A quoi, au fait ?
Passé 40 ans, son clan familial vieillit en jean. L’âge n’a pas prise sur Charlotte, cheveux raides de petite fille, ongles nus. « Le vernis à ongles, c’est rédhibitoire », dit l’héroïne de Louis Vuitton. Même sur sa fille Alice Jane, 11 ans ? « Sa génération est très, très féminine. Elle vernit ses ongles mais, comme ce n’est pas trop soigné, cela reste festif ! » Et puis, soudain songeuse, elle dit qu’elle regrette d’avoir parlé de sa fille…
Elle a commencé à travailler à 12 ans
« Nous avons été d’emblée “publiques”. Nous avons été montrées en famille, nos vacances, nos maisons… C’était naturel pour nous, nous n’avons rien connu d’autre. » Ecolière, elle signait avec sa soeur les livres d’or des hôtels : « De la part de mon père, c’était gentil. » A 12 ans, elle commence à travailler et enchaîne les étés de tournage : «Paroles et Musique», «L’Effrontée», «La Petite Voleuse»… Les films de son père, de son beau-père, de son oncle sont ses devoirs de vacances. « Ma mère m’a dit récemment que, inquiète, lorsqu’on m’a proposé de partir seule au Canada tourner “Paroles et Musique”, elle avait demandé conseil à Catherine Deneuve. Celle-ci a répondu qu’il me fallait exister sans mon père, et pas uniquement dans ses productions. »
Charlotte Gainsbourg est née dans la célébrité monstre. Cette princesse médiatique a été formée, éduquée pour vivre dans les étoiles. Du reste, elle loge au sommet d’un immeuble, avec le vent et les nuages à hauteur des yeux. L’épais dossier posé sur la table du Montalembert –une revue complète des sujets que ELLE lui a consacrés depuis ses débuts, en 1985, forme presque un journal intime. C’est dans ELLE que Charlotte Gainsbourg révèle crânement que ça y est, elle a une sexualité (1989). En 1996, elle annonce sa future grossesse, dans un article illustré par Kate, alors apprentie photographe.
Elle a protégé ses enfants pour qu’ils n’aient pas la même adolescence qu’elle
En 2000, elle parle de la maternité… « Un jour, j’avais dû râler que jamais nous ne passions inaperçus, mon père m’a dit avec beaucoup de fermeté : “Le jour où ça t’arrivera plus, tu verras comme tu vas déguster !” » Cette injonction paternelle, elle ne l’a jamais oubliée. Pas un instant, elle n’a imaginé qu’il puisse exister autre chose que le spectacle et la notoriété. La vie, par exemple. Ses propres enfants, Ben, 17 ans, Alice Jane, 11 ans, Joe, 3 ans, n’ont pas la même expérience. « Nous les avons beaucoup protégés. » Quel genre de mère est-elle ? Elle coupe court avec un ton de communiqué officiel : « Je n’ai pas de réflexion publique concernant mon statut de mère. » Un coup d’aile impavide, et la voilà insaisissable.
Ses silences désarçonnent les journalistes : en entretien, l’elfe du ELLE s’enveloppe de timidité. Le journaliste François Baudot la comparait à un petit oiseau d’acier ayant appris très vite à se blinder. « Le moindre mot prend des proportions extravagantes. Alors elle se protège », dit une amie. La célébrité, sa silhouette effilée la surplombe, comme son balcon les rues de Paris. Charlotte l’extraterrestre vit sur une planète sans livres, sans politique, sans shopping et sans âge… Certains disent qu’elle est la fille d’un sac Hermès et d’un briquet Zippo. En réalité, Charlotte Gainsbourg est la fille naturelle de Peter Pan et de la Fée Clochette.
Un commentaire
Bonjour, je souhaiterais connaître la marque du jean à taille haute qu’elle porte. Est-ce un jean slim ou évasé?
merci.
Clotilde