Charlotte Gainsbourg, portrait d’une femme libre

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Présente au Festival de Cannes cette année pour présenter le nouveau film d’Arnaud Desplechin, « Les Fantômes d’Ismaël », Charlotte Gainsbourg se dévoile à travers la plume d’une écrivaine, Blandine Rinkel.

Par Blandine Rinkel, Marie Claire, Publié le 17/05/2017

Sans la connaître, on en sait déjà trop sur Charlotte Gainsbourg. Qu’elle descend de Serge et de Jane, que le groupe Air l’a fait chanter et que Lars von Trier l’a rendue nymphomane à l’écran. On sait la fragilité et la grâce, les cinquante-neuf films tournés et les vingt-six ans avec Yvan Attal. Sachant cela, pourtant, on n’a toujours pas percé le mystère de la jeune fille de 45 ans. Comment la vague perception d’une idole se modifie-t-elle au cours d’une conversation par Skype ? Portrait de la lente transformation d’un cliché de magazine en femme libre. Une femme sous influence.

Sous les yeux des journalistes, adolescente, elle peinait à se dévoiler : « C’était un vrai cauchemar d’apparaître. » Il suffit de regarder la vidéo d’elle au côté de Claude Miller, sur le plateau d’Antenne 2, en 1985, pour s’en faire une idée : à 14 ans, Charlotte n’est pas rompue à la violence du direct, et sa gêne manifeste est difficilement soutenable. La télévision rejette sa fragilité comme un corps étranger.

« J’avais l’impression qu’on voulait m’enlever des choses, et moi je tenais beaucoup à garder ma vie secrète »

Et de poursuivre : « tout se savait, mais je voulais faire comme si personne ne savait rien. » Quelque chose de Charlotte résistait, donc, et c’est évidemment cela que l’on aimait. Pudeur et désir souvent s’entrelacent. Grandissant, elle s’en rendit compte : la France attendait d’elle qu’elle se conforme à son cliché – on aimait ses regards fuyants et sa mélancolie notoire, comme si son âme était vieille, ayant déjà vécu une vie antérieure : « Pourtant non, je pense pas du tout, mais éprouver une difficulté à tout gérer depuis ma petite enfance, c’est évident. Moi-même je m’évoque plus un malaise qu’une richesse intérieure. Adolescente, quand j’ai commencé à être renfermée, je préférais ne pas parler parce que je me rendais bien compte que lorsque je devenais silencieuse les gens pensaient que j’étais très intelligente, alors que dès qu’on l’ouvre ça remet les choses en place. »

A défaut de l’ouvrir, donc, elle a longtemps misé sur l’esthétique du mystère, non d’ailleurs sans une légère complaisance. Certes, elle se définit elle-même comme une femme sous influence, peinant à suivre ses propres instincts et se laissant plutôt altérer par tout ce qui passe sur les tournages – « des maquilleurs aux coiffeurs en passant par les acteurs, les amis et la famille » –, mais outre cette tendance à l’évanescence, pas de grand secret chez Charlotte, pas de magie noire ni de délires métaphysiques. Plutôt une parole posée, claire et désarmante d’honnêteté. Et si énigme il persiste, c’est plutôt celle de son rire que de sa mélancolie, vue et revue depuis L’effrontée jusqu’à Melancholia.

Car elle rit beaucoup, Charlotte Gainsbourg. Pas qu’elle soit insouciante, pourtant, plutôt lucide et amusée, c’est un rire honnête, un rire d’aveu – le même que celui qui accompagne ses discrets : « Oh, merde », chaque fois que son téléphone sonne durant notre conversation.

« Dans la vie, c’est vrai, je pense être plus honnête que spontanée »

« Je m’efforce de l’être. Si l’on n’est pas sûr du reste, il vaut mieux être honnête. Ma mère aussi est comme ça, à parler de ses propres défauts. C’est beaucoup plus facile que d’essayer de faire croire à une assurance que l’on ne possède pas. Mon père me surprenait par son honnêteté mêlée à beaucoup d’innocence et d’ouverture. Enfin “ouvert” n’est pas non plus le mot idéal pour le qualifier… »

Et là encore le rire, puis elle enchaîne sur « le problème d’ego des gens connus, toujours entre l’envie de se cacher et celle de se montrer ». Elle vous avoue n’envier aucun acteur car personne ne peut être tout à fait à l’aise avec lui-même s’il fait ce métier. Avant d’ajouter aussitôt, pensant contre elle-même, que c’est précisément ce qui la touche : « J’aime bien voir chez les autres un malaise, parce que quelqu’un de tout à fait décrispé ou libéré c’est… c’est pas très beau, ça donne pas tellement envie, en fait. » C’est fou comme les sourires s’entendent bien par Skype. A-t-elle toujours autant souri d’elle-même ? « Je travaille sur mes propres faiblesses, qui ont toujours été les mêmes, et j’accepte maintenant d’être médiocre, insuffisante. Ça m’aide à agir. Et puis avoir quitté la France, aussi ; il fallait une espèce de détachement géographique pour prendre de la distance psychologique. Je ne sais pas combien de temps ça va durer, mais l’Amérique m’a fait du bien en m’obligeant à oser m’affirmer. Et il serait temps. J’ai davantage de courage depuis que je ne suis plus regardée. »

Une joie américaine

Loin de nos regards, donc, elle ose parler aux inconnus dans Brooklyn, écrire des paroles en français, mettre en scène des clips, se plonger dans le dessin – « la nuit peut passer très vite ». Ses journées se suivent sans se ressembler : tantôt elle travaille chez elle, tantôt c’est à Greenwich Village qu’elle se rend, pour travailler dans les mythiques studios Electric Lady, construits par Jimi Hendrix et que hantent encore les fantômes de David Bowie, Frank Zappa et Stevie Wonder ; parfois ce sont aussi des séances photos, dans des entrepôts ou des studios à Brooklyn ; d’autres jours, c’est à ses enfants qu’elle se consacre.

Après avoir si longtemps été en France « fille de », Charlotte est aux Etats-Unis devenue « maman de », ce qui semble la satisfaire. D’elle émane une joie diffuse. De même qu’on évoque rarement la mélancolie de Laurent Ruquier, sans doute serait-il dommage d’ignorer la joie de Gainsbourg. Un visage qu’elle semble d’ailleurs n’avoir jamais révélé au cinéma, du moins jusqu’à récemment. « Dans La promesse de l’aube (2), je joue la mère de Romain Gary, et c’est un rôle excessif et drôle : Mina est très extravertie, mais c’était un vrai rôle de composition, je me suis éclatée avec ma propre fantaisie. Peut-être le fait d’avoir mis un masque, il y avait une transformation physique : pas le même corps, des couches et des couches, des rides… on ne se basait vraiment pas sur moi, et pourtant j’ai pu y mettre tout ce que je connaissais de ma famille. C’est moi, ce côté juif russe, c’est ma grand-mère. »

Et l’amour ? Celui-ci aussi semble durer, Charlotte étant en couple avec Yvan Attal depuis désormais vingt-six ans. Mais qui sait parler d’un couple qui marche ? Charlotte se donne-t-elle pour défi de le faire ? Ici, elle vous coupe, maline : « Arrêtez, vous allez me foutre la poisse », puis elle se reprend : « Non, mais un film qui traduirait un amour qui dure, ça me semble… enfin si, je suis sûre qu’il y en a. Mon père disait, à propos des chansons, que ça n’a aucun intérêt de parler du ciel bleu, et oui, je pense que c’est beaucoup plus payant de parler d’orages, mais en fait c’est surtout lorsque l’on ne sait pas traduire l’expérience de la sérénité au cinéma. Quand on essaie, ça en restitue seulement le cliché. Ça donne des “feel good movies”, quoi. »

Les colères ne font que passer

Chez Lars von Trier comme chez d’autres, elle ne voit que « provocation d’enfant ». Pas qu’il soit innocent pour autant, mais différent en public et en privé, c’est évident. De toute manière, les colères de Charlotte ne font que passer. « J’aimerais bien en vouloir plus à des gens, mais je n’y arrive pas. Ça m’arrive très souvent d’avoir un accroc avec quelqu’un et de l’oublier, si bien que je vais vers lui en faisant : “Salut”, et après seulement je me souviens que ça n’allait pas et que j’aurais dû lui cracher au visage. »

Envers les humains, elle se sent exemptée de « vraie animosité », plutôt « flottante ». Politiquement aussi d’ailleurs. De gauche par culture, elle se doute d’appartenir « à la gauche caviar », ce qui « ne veut pas dire grand-chose ». Evidemment qu’elle est « choquée par la montée des extrêmes », mais étant entourée de personnes qui pensent comme elle, Charlotte se garde bien de se galvaniser d’être du bon côté.

Je n’ai jamais été à l’aise avec le côté porte-parole politique des acteurs…

« Personnellement, je suis incapable de faire avancer le débat. Si c’est pour dire des banalités, évidemment j’en suis capable, mais je ne connais pas assez les données pour être judicieuse et précise. » Elle préfère donc ne pas. Et, à défaut, vous parler légèrement de la biographie de la reine Victoria ou du livre de Céleste Albaret, Monsieur Proust, qu’elle a récemment achevé, de la sympathie d’Arnaud Desplechin sur le tournage des Fantômes d’Ismaël, des recettes de cuisine qu’elle suit « ridiculement à la lettre » et de sa façon de construire des maquettes de bateau ou de faire du piano. Méticuleusement, attentivement, mais surtout, désormais, librement.

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