Charlotte Gainsbourg, toujours à l’aventure (Madame Figaro)

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L’actrice sacrée à Cannes retrouve la Croisette avec « L’Incomprise », d’Asia Argento

Par Caroline de Bodinat, Madame Figaro, 16 mai 2014

Elle confesse un attrait pour le drame et excelle dans la comédie. Semble fragile mais déborde d’énergie. Fuit son image de star mais l’incarne avec grâce. Avec quatre films à l’affiche dans les prochains mois, dont L’Incomprise, d’Asia Argento, présenté à Cannes, l’actrice vit une véritable success story.

Charlotte Gainsbourg - Photo Driu & Tiago pour Madame Figaro - Mai 2014

« Une icône… », répète-t-elle avec le sourire qui se gomme, les mains qui se resserrent autour d’une tasse de thé. On s’immisce dans les plates-bandes de ses points de suspension. On insiste. Pire qu’avec des sabots. On persiste. Oui, une icône, mais… au figuré. En Stan Smith. Une icône qui, par ses choix artistiques, ébouriffe et transgresse l’image que l’on s’en fait. Une icône que l’on n’épingle pas. Jamais fixe. Allergique à l’idolâtrie. Une icône par cette somme d’elle, cette mosaïque plurielle d’images et de sons. Par son mystère, par ce qu’elle procure d’émotions, à l’écran, à l’esprit.

Charlotte Gainsbourg - Photo Driu & Tiago pour Madame Figaro : Pur et simple. Débardeur en coton, Céline.

C’est vers le réalisateur Benoît Jacquot (pour qui elle a joué dans Trois Cœurs) que l’on se tourne pour éclairer le diptyque : Charlotte Gainsbourg – icône. « Charlotte n’a pas ce sens du fonds de commerce. Elle cherche à fuir cette image. À l’icône, elle tourne le dos. Elle a envie de surprendre, à commencer par elle-même. Elle fait tout très bien. Actrice, chanteuse, mère, femme. C’est un don sans égal, celui qu’elle possède. Elle ne cesse d’apparaître, de disparaître. À chaque fois, elle avance vers. Le regard est attiré par son mouvement. »

Elle vous rattrape par une aile, vous fait revenir sur son tarmac : « Une icône, je n’ai rien à dire à cela, c’est flatteur. Je ne suis pas sûre de l’image que je projette. Il y a eu celle de L’Effrontée, longtemps celle de l’ado attardée, ces images que la rencontre et le travail avec Lars Von Trier m’ont permis de casser. Mais je n’ai pas envie d’avoir ce type de recul sur moi-même. Ça ne m’intéresse pas. » Point à la ligne. Changement de paragraphe.

Charlotte Gainsbourg Photo Driu & Tiago pour Madame Figaro : Voile noir. Robe en tulle et short en python, l'ensemble Haider Ackermann, soutien-gorge en jersey, Érès.

« Je porte en moi l’inquiétude »

On voulait une Charlotte Gainsbourg vue autrement que par le prisme de la rue de Verneuil, l’adresse mythique du père… Face A, « Melody Nelson ». Face B, « Ex-fan des sixties ». Celle qui partage depuis vingt-trois ans avec l’acteur et réalisateur Yvan Attal le quotidien et trois enfants. Ben, 16 ans, Alice, 11 ans, et Joe, 2 ans et demi. Une Charlotte Gainsbourg différemment. Même s’il y a une hérésie à concentrer sa carrière : quarante-sept films, quatre albums, deux césars, un prix d’interprétation féminine à Cannes. Une Charlotte Gainsbourg sans redite. Perçue instantanément.

Charlotte Gainsbourg est à l’affiche de quatre nouveaux films d’ici à la fin de cette année. Quatre façons d’être envisagée. Quatre réalisateurs par lesquels elle n’avait encore jamais été dirigée. Son tourbillon de l’année. « Les tournages furent très imbriqués. Il y a eu la première partie d’Every Thing Will Be Fine, de Wim Wenders. Ensuite Trois Cœurs, de Benoît Jacquot. La parenthèse de quelques jours pour L’Incomprise, d’Asia Argento. J’ai ensuite fini Trois Cœurs, puis enchaîné avec Omar Sy dans la nouvelle comédie d’Éric Toledano et Olivier Nakache, Samba. Pour boucler la seconde partie du tournage avec Wim Wenders. »

Charlotte Gainsbourg Photo Driu & Tiago pour Madame Figaro : Claire épure. Chemisette en coton et cuir argenté, Paco Rabanne. Culotte en jersey, Érès.

Elle est porteuse d’un charme comme peu d’autres en ont

Quatre choix, au-delà d’un scénario. Motivés par la fluidité des rencontres. « Avant j’avais peur de l’humiliation, je me sentais passive, je n’osais pas dire. Maintenant, je suis sur mes gardes, c’est le déclin que je pourrais craindre. Je porte en moi l’inquiétude, l’insécurité, la tristesse et le doute. Avec l’expérience vous cherchez à bien vous entourer. Il n’y a pas que le talent du metteur en scène qui entre en ligne de compte, mais son humanité, l’attachement et la fidélité d’une équipe, son miroir, dans la façon de travailler. »

Chez Wim Wenders elle a perçu une notion quasi familiale dans l’approche du travail, une générosité. Avec Benoît Jacquot, « il y a un partage quand il vous demande comment vous-même vous vous percevez dans une scène ». C’est à travers ces croisements de routes que l’on règle la focale. Sur le visible et le sous-texte. « Sur un plateau, explique Benoît Jacquot, Charlotte est toujours là, elle s’imprègne des voix, des bruits avant de se faire filmer, sans prendre part. Sa mélancolie est criblée d’une gaieté quasi juvénile. Elle est porteuse d’un charme comme peu d’autres en ont. »

Charlotte Gainsbourg Photo Driu & Tiago pour Madame Figaro : Fragile résille. Tee-shirt en veau velours perforé et soutien-gorge en lurex, Gucci, culotte en jersey, Érès.

Annoncé pour octobre, Trois Cœurs est une histoire d’amour ratée, vécue par deux sœurs éprises d’un même homme. Le film réunit Benoît Poelvoorde, Chiara Mastroianni, la sœur de Charlotte Gainsbourg à l’écran. Leur mère est jouée par Catherine Deneuve.

« Avec les enfants, aimer ne suffit pas »

La proximité immédiate évoquée avec Asia Argento est encore différente.Elles se sont rencontrées sur le tournage de Do Not Disturb, réalisé par Yvan Attal en 2012. « Nous avons pour point commun d’avoir grandi auprès de parents célèbres. Asia est très entière, très cash, nous nous sommes trouvées. Son phrasé a un débit fulgurant, elle m’a convaincue de tourner en italien. » En amont du tournage, la réalisatrice a enregistré le scénario en italien pour Charlotte.

« Pendant deux mois, j’ai écouté, j’ai fait un peu le perroquet sans me douter qu’Asia modifierait le texte à la dernière minute. » Présenté dans la sélection « Un certain regard » au Festival de Cannes 2014, L’Incomprise traite du passage de l’enfance à l’adolescence, avec cet attelage de cruauté, de touchant, de rejet. Charlotte Gainsbourg interprète la mère d’Asia. « Nous avons tourné en six jours, il n’y avait pas de sous, même la pellicule était comptée, c’était du Super 16, une expérience qu’on a tendance à oublier aujourd’hui. »

Charlotte Gainsbourg Photo Driu & Tiago pour Madame Figaro : Droite ligne. Combinaison-bustier en gabardine Haider Ackermann, escarpins Ernest.

C’est une actrice d’à peine treize ans qui campe le rôle d’Asia Argento ado. « Elle m’a bluffée, par son jeu et le plaisir qu’elle avait d’être là. Évidemment, elle m’a rappelé mes débuts. Mais je n’avais pas ce même élan à son âge. Moi, j’avais l’impression de jouer par procuration. Je n’ai pas ressenti de vocation. L’évidence, le plaisir et l’envie sont venus plus tard. Je n’ai jamais cultivé un désir de jouer, ou alors c’était un désir sans réflexion. Aujourd’hui, les enfants sont plus préoccupés par une vocation. »

En tant que mère, Charlotte Gainsbourg décèle une forme d’amour dans le fait de demander toujours plus tôt aux enfants ce vers quoi ils tendent. Elle évoque en pointillés les erreurs faites avec les aînés, reproduites différemment avec les plus petits. « Je ne suis pas douée pour l’éducation, je pensais qu’aimer était le socle. Mais ça ne suffit pas. Il faut être plus concret, plus stable, plus solide. Je ne suis pas quelqu’un de serein. Mes enfants le sentent et le comprennent. »

« Chaque jour me rappelle ma sœur »

Elle ne cache pas son inclination pour le drame, l’interprétation de la noirceurà l’écran qu’elle trouve plus évidente à étreindre que le mécanisme de la comédie. Ce que réfute Omar Sy, son partenaire à l’affiche de la prochaine comédie de Nakache et Toledano, Samba : un homme qui n’a pas ses papiers rencontre une femme qui vient de faire un burn-out.

Charlotte Gainsbourg Photo Driu & Tiago pour Madame Figaro : Belle dentelle. Robe à découpes, Anthony Vaccarello, escarpins Christian Louboutin. Mise en beauté Dior par William Bartel. Coiffure Alexandry Costa.

« Charlotte a un sens incroyable de la comédie. Avec elle, j’ai pris des notes. C’est une méthode de travail, une rigueur, elle accroche très vite les wagons, elle est juste, précise, vous l’attendez sur quelque chose, elle vous chope par l’autre côté. En plus d’être marrante. Je me demande où sont ses limites. Je la pensais fragile. La force qu’elle dégage décuple mon admiration. »

J’écris sur ce qui me hante, l’enfance

Pendant le tournage de Samba, Charlotte Gainsbourg apprend la disparition de sa sœur Kate Barry. Faut-il avoir perdu un proche dans les mêmes circonstances pour hésiter entre lever le stylo ou écrire ce qu’elle exprime ? « Chaque jour me rappelle ma sœur, à tous les instants de ma vie. Je ne me doutais pas que je pouvais tout orienter autour de son souvenir. » Dans le film de Wim Wenders, la protagoniste qu’elle interprète porte le prénom de Kate. Charlotte n’a rien voulu modifier.

L’envie dont elle vous fait part serait de s’atteler à un nouvel album. « J’arrête les films pour avancer le plus vite possible. J’écris, on verra si c’est musical. Je parle de mes enfants, de ma sœur, de ma famille, de ce qui me hante, l’enfance. » Elle revient de New York. « Avec Yvan et les enfants cela fait six ans qu’on parle d’y vivre pour une parenthèse momentanée. J’ai besoin de changer d’air. »

Charlotte Gainsbourg Photo Driu & Tiago pour Madame Figaro : Esprit lingerie. Cache-cœur en mousseline de soie, Nue.19.04, culotte Triumph.

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