Charlotte Gainsbourg est la première célébrité française à faire la Une de Vanity Fair France, numéro 4 dans les kiosques ce mercredi 25 septembre : dans l’interview exclusive, Charlotte Gainsbourg raconte son personnage dans Nymphomaniac, film de Lars Von Trier sur les écrans le 1er janvier 2014 : « Ses tourments sexuels sont très explicites, sans aucun compromis. Aussi bien dans le discours que visuellement. Après, je ne sais pas, [Lars von Trier] est allé tourner avec des acteurs pornos, il doit faire des inserts et incruster les sexes des acteurs pornos sur nos corps. »
Trente ans après ses débuts, elle s’est imposée comme une des figures les plus intrigantes de la culture française. La fille de Jane Birkin et de Serge Gainsbourg a su trouver sa voie entre rôles remarqués et albums exigeants. Elle livre à ANNE BOULAY et MICHEL DENISOT ses vérités. Sans filtre.
Publié dans Vanity Fair n°4, Octobre 2013
C’est l’histoire d’une femme entière qui dit qu’elle fait tout à moitié. Un labyrinthe de contradictions qui cache un bloc de certitudes. Un peu chanteuse, beaucoup actrice, icône du style français née à Londres, fausse fragile et ambitieuse assumée. Mater familias dotée d’un corps d’enfant et de mains de bonhomme, Charlotte Gainsbourg s’est forgé, à 42 ans dont trente passés sur le devant de la scène, une ligne de vie magnétique et semée d’énigmes jetées dans son sillage comme pour protéger sa fuite. Héritière officielle du couple Gainsbourg-Birkin et mélange optique de ces deux personnalités hors normes, elle assume parfaitement sa place dans cette famille royale que la France s’est choisie, tout en prenant ses distances avec son rôle de gardienne du temple.
De la petite fille tétanisée et bouleversante qui faisait ses premières télés en 1985 pour L’Effrontée, le film de Claude Miller qui lui donna un prénom, elle a gardé la dégaine adolescente. Ne surtout pas se fier à ces apparences décontractées et juvéniles. Calée sur un canapé vert dans son appartement au parquet sombre, elle porte ce jour-là une citation de short en denim, des socquettes de petit garçon, des boots de chanteur de folk et sirote un thé japonais dans un mug « Dragon Ball Z ». Tout en elle semble posé : la tête sur les épaules qu’elle tient bien droites, la voix calme et claire, le verbe réfléchi. Solide comme ceux qui n’ont pas peur des extrêmes, elle s’apprête à enchaîner de part et d’autre de l’Atlantique quatre tournages en six mois et autant de registres. Notamment le prochain film d’Olivier Nakache et Éric Toledano avec Omar Sy, un long-métrage d’Asia Argento et un autre de Wim Wenders en 3D, en attendant la sortie nimbée de soufre du Nymphomaniac de Lars von Trier cet hiver. Connue pour être aussi discrète sur sa vie qu’elle peut être impudique à l’écran, elle s’avère loquace et articulée – et prête à dissiper quelques idées reçues.
Ses débuts médiatiques ont laissé une trace indélébile : celle d’une actrice jouant sa préadolescence avec une justesse inouïe, mais dont aucun son ne semblait sortir de la gorge dans la vie. Un jeune animal pris dans les phares de la voiture…
« Non, je ne suis pas fragile, je ne crois pas. Je ne suis pas timide non plus. Je ne le suis plus, je ne sais pas si je l’ai été. Du malaise… ça, du malaise, j’en ai, bien sûr. Plus jeune, je n’analysais pas trop et je ne le fais toujours pas. Je comprends mieux maintenant mais ça me plaît de ne pas comprendre, de ne pas avoir les clés de tout. Et donc, oui, j’entretiens bien le malaise. Mais dans les interviews, au début, avec l’obligation de se mettre à nu, j’avais beaucoup de mal à m’exprimer. Je voulais être fière des mots que j’allais employer, être sûre de ressentir ce que je disais, être précise. Je pense avoir toujours été ambitieuse et fière… Fière, en tout cas. Je n’ai jamais été dingue. J’ai toujours eu besoin d’équilibre pour compenser le déséquilibre de mes parents. Ils nous ont fait une vie de famille très banale, l’air de rien, mais qui était forcément déséquilibrée. Moi, je suis une mère lunatique, malgré mon côté strict. Je me réveille la veille des devoirs. Je réalise que la cohérence, c’est quand même très rassurant pour les enfants. »
Elle s’est beaucoup réfugiée derrière son absence de vocation, racontant volontiers que c’est sa mère, Jane Birkin, qui l’a inscrite au casting de Paroles et Musique d’Élie Chouraqui, son premier rôle avant L’Effrontée qui lui vaudra un César en 1986.
« Je n’ai pas eu de combat à mener ni pu éprouver que je désirais ça. Au départ, il n’y a pas eu de désir, mais c’est venu et il y a eu du plaisir. En même temps, je me souviens que la veille du premier jour de tournage de L’Effrontée, j’étais terrorisée. J’avais le trac quand même. Je savais ce qui se jouait. J’étais censée faire quelque chose et ça restait très abstrait pour moi. Claude Miller me regardait, ce regard était précieux. J’avais envie de lui plaire, de réussir, qu’il soit fier de moi. J’étais plutôt poussée par mon côté bon élève. Après, je déconnais avec l’équipe. Je tombais régulièrement amoureuse d’un premier assistant, d’un assistant caméra… J’étais jeune, très jeune. J’avais vraiment le sentiment avec La Petite Voleuse (1988), L’Effrontée (1985) et Paroles et Musique (1984) de faire partie d’une famille d’emprunt que j’aimais autant que la mienne.
– Vous avez beaucoup de secrets ?
– Oui !
– Vous teniez un journal intime ?
– Oui. Mais je ne l’ai plus aujourd’hui. Je n’ai plus le temps. J’ai trois enfants et ça a pris le dessus. »
Charlotte Gainsbourg « Sans mon père, chanter ne semblait plus du tout naturel », admet Charlotte Gainsbourg (Jeff Burton pour Vanity Fair France).
L’ambiguïté des rapports avec son père, Serge Gainsbourg, mise en scène avec un maximum de provocation dans le clip de la chanson Lemon Incest, culmine avec le tournage du film Charlotte for Ever (1986).
« J’ai un souvenir très dur de ce tournage : pour la première fois, mon monde de cinéma à moi se mélangeait au sien. Et lui, tel que je le connaissais dans la vie, ne correspondait pas à ce que je découvrais sur un tournage, sur un plateau. Il n’était plus le même. J’en avais fait l’expérience pendant la promo de l’album Charlotte for Ever, sorti en décembre cette année-là. Mon père avait plusieurs facettes et je le connaissais, mais devoir au quotidien faire face à cela et être moi-même dans cette spirale, c’était dur à vivre. Et puis, j’avais une vie intime qui commençait à être importante à cette époque-là. Je n’ai pas revu ce film mais je suis heureuse de l’avoir tourné. Je pense que je serais ravie de le revoir. Lemon Incest, c’est la seule chanson de moi que je peux réécouter. Comme si j’avais peur de l’oublier parce que j’ai envie de l’entendre, lui, et d’entendre ce rapport-là. »
La mort subite de Serge Gainsbourg, en 1991, correspond à la période où elle rencontre Yvan Attal, acteur et réalisateur dont elle partage toujours la vie.
« J’avais 19 ans quand mon père est mort. Je pensais que je ne m’en remettrais pas. Je ne peux pas dire que j’ai suivi un parcours de deuil. Je ne sais pas s’il y a un parcours typique. J’ai fait comme s’il était encore là. Tout ce qu’il avait touché, jusqu’à la rue de Verneuil elle-même, il fallait le mettre au coffre. Je me souviens de ma chienne qui avait bouffé son agenda. C’était la pire chose qu’elle pouvait faire. Tous ses objets étaient complètement sacrés. Le perdre à cet âge-là… Pendant des années, j’étais une loque. Yvan m’a récupérée très peu de temps après et il a eu la patience d’attendre, je ne sais pas… dix ans… que, petit à petit, j’émerge. Il y avait aussi une complaisance dans le malheur. Les premières années, j’avais l’impression de l’entendre à la radio tout le temps, d’être sans cesse confrontée au fait qu’il était mort. Les gens n’ont pas toujours la possibilité d’écouter la voix de quelqu’un qui n’est plus là. C’est très dur. La voix, c’est ce qu’il y a de plus vivant. »
Il lui faudra plus de huit ans pour envisager de se remettre à la chanson. Là encore, il faut y voir davantage le hasard que la nécessité. Un éternel problème de légitimité qu’elle semble avoir renoncé à régler.
Charlotte GainsbourgDiscrète dans la vie, Charlotte a dû s’affranchir du regard des autres pour jouer dans les comédies très intimes de son compagnon Yvan Attal (Jeff Burton pour Vanity Fair France).
« Si j’ai eu tant d’inhibition à revenir à la chanson, c’est parce que, sans mon père, chanter ne me semblait plus du tout naturel et je ne croyais pas avoir de talent quelconque. J’ai eu envie de me remettre à la chanson parce que ça me faisait plaisir, mais je redoutais les critiques. Je trouve ça plus facile de jouer sans se considérer comme une actrice…
– Mais vous êtes une actrice !
– Comparée à des acteurs qui doivent choisir leur rôle, je ne sais vraiment pas.
– Vous avez reçu plusieurs César, un prix d’interprétation à Cannes, qu’est ce qu’il vous faut ?
– C’est vrai, mais je me laisse porter par mes désirs. Si on est acteur, c’est qu’on l’a décidé jeune, qu’on a une vocation. Moi, je n’ai pas eu de vocation, ce sont des hasards. De très heureux hasards – parce que je ne me vois pas faire autre chose –, mais de là à assumer le métier comme le font les actrices américaines… Je dis “américaines” parce que c’est beaucoup plus balisé de l’autre côté de l’Atlantique. Ici, c’est moins le cas, parce que les acteurs sont très infantilisés. J’ai profité de ça, d’être infantilisée, de ce que les choses arrivent par accident. Si j’étais bonne dans une scène, c’était par accident…
– Vous vous sous-estimez du matin au soir.
– Non. J’ai seulement l’impression que tout est trop aléatoire pour dire qu’on est acteur. Il y a trop de hasard.
– C’est vrai pour tout le monde. Et chanteuse ?
– Chanteuse non plus. Là, c’est pire, puisque je n’ai pas de voix.
– Vous avez une voix. Aznavour n’a pas de voix.
– Il a une dextérité, quand même. Moi, je n’ai pas de voix. Ni de dextérité. Je n’assume pas mon instrument.
– Une voix, ce n’est pas un klaxon.
– Oui, mais quand on ne la maîtrise pas et qu’on ne sait pas s’en servir, quand la bonne prise est due à un accident, c’est difficile de se dire qu’on est chanteuse. La seule différence aujourd’hui, c’est que je m’en fous. Ce n’est pas grave d’être mauvais. Je revendique d’avoir le cul un peu entre deux chaises. En fait, c’est plutôt le côté artiste que je n’assume pas. Pour moi, un acteur n’est pas un artiste.
– C’est un interprète ?
– Oui, et un interprète, ce n’est pas un artiste. Je ne crée pas assez par moi-même. Un artiste, c’est quelqu’un qui a besoin de créer. Mais pour moi, ce n’est pas un besoin, je crois. En même temps, mon père répétait qu’il faisait de la variété, que c’était presque facile, donc lui-même avait un problème avec cela.
– Pour Gainsbourg, la peinture était l’art suprême.
– Je trouve ça bien de ne pas avoir forcément de recul sur ce que l’on fait. J’ai écrit des trucs, je ne sais pas si j’irai jusqu’au bout… des textes à chanter. Et moi qui pensais que jamais je ne m’attaquerais au français ! »
Juste avant l’été, Yvan Attal a profité de sa cérémonie de remise des insignes de chevalier de l’ordre national du Mérite pour demander publiquement la main de l’actrice dont il partage la vie depuis vingt-deux ans, et qui s’est toujours montrée très discrète sur leur relation.
« Avec Yvan, j’ai l’impression que nous nous sommes connus adolescents. Avec lui, comme je venais de vivre un gros choc, je revivais l’enfance que j’avais perdue. Et je vivais pour la première fois une histoire d’amour dont je profitais. J’avais connu une autre histoire douloureuse, donc c’était la première fois que j’avais une vie amoureuse, adolescente, insouciante et épanouie. En fait, on a eu plein de vies avec Yvan et on a fait des films. Moi, je n’assumais pas du tout, je n’assumais pas l’humour qu’il avait – j’aurais aimé mais je n’y arrivais pas. Je le prenais au premier degré et comme j’avais toujours été plutôt discrète en interview, je ne voulais pas parler de nous, je ne prononçais pas son nom. D’un seul coup, il me forçait à jouer de notre vie privée, mais de manière très bon enfant. Il était bien plus à l’aise que moi.
– Et alors, ils eurent beaucoup d’enfants ?
– Oui !
– Et ils se marièrent ?
– Ah non !
– Malgré l’appel pressant ?
– Si, on va sans doute le faire. J’ai été hyper touchée…
– …qu’il vous le demande en public ?
– Ça fait vingt-deux ans qu’on n’en parle pas vraiment. On est plutôt contre le mariage tous les deux. Ce n’était pas un sujet d’actualité. Ensuite, on s’est dit que c’était sans doute trop tard. Et là, l’idée que lui l’envisage, c’est ce qui m’a convaincue. Enfin, ça me fait plaisir que ce soit son idée. Moi, je suis superstitieuse : je me dis qu’on a tenu vingt-deux ans sans être mariés, j’ai très peur de ce que l’on provoque. »
Louée dans le monde entier pour son sens du style, Charlotte Gainsbourg est une icône mode qui semble, là encore, n’avoir rien fait pour le devenir.
« Est-ce que je m’aime ? Vraiment pas. J’aime bien ce que j’ai été hier. Je ne suis jamais en adéquation avec le présent. Aujourd’hui, non, je ne m’aime pas. Mais, quand je regarde des photos d’hier sur lesquelles je ne m’aimais pas, je me dis : « Ah si, c’était bien ! » Dans les films, par contre, je ne m’aime pas du tout. Dans L’Effrontée, je n’aime pas ce que je fais. Je n’aime pas ma façon de parler. Je ne trouve pas ça vrai. Ça me gêne. »
Si l’actrice se défend de faire quoi que ce soit par réelle vocation, elle s’engage totalement dans des projets qui nécessitent une bonne dose de cran. Pas de fausse (ni d’ailleurs de vraie) pudeur quand il s’agit de se mettre à nu, au propre comme au figuré, sur grand écran. Un sens de la provocation qui fait – peut-être – partie de son génome.
“ Dans “Antichrist”, il fallait branler une doublure. Là, ça allait trop loin. ”
« J’ai eu une révélation avec Lars von Trier. Il a une méthode de travail que je ne retrouve avec personne d’autre, une manière très douce et en même temps très franche. Il ne prend pas de pincettes pour dire quand ça ne va pas. C’est une espèce de manipulation dont on se rend compte. On est totalement conscient mais on ressent le plaisir de jouer au pantin. Dans Antichrist (2009), il n’y a que deux choses que je n’ai pas faites. Je vais utiliser des mots un peu crus mais il fallait branler un homme qui n’était pas Willem Dafoe, une doublure, un acteur porno et puis il fallait que je sois dans le même plan que cet acteur qui se branlait lui-même. Là, ça allait un peu trop loin. Ça devenait autre chose, je ne savais plus quel métier je faisais. Nymphomaniac, c’est le parcours d’une femme de 2 ans à 50 ans. Le parcours sexuel d’une femme qui se raconte à un homme joué par Stellan Skarsgård. Ses tourments sexuels sont très explicites, sans aucun compromis. Aussi bien dans le discours que visuellement. Après, je ne sais pas, il est allé tourner avec des acteurs pornos, il doit faire des inserts et incruster les sexes des acteurs pornos sur nos corps. J’étais très heureuse de le faire, mais j’ai toujours ressenti un malaise – même après Antichrist – de ne pas savoir ce que j’ai fait, de ne pas savoir jusqu’où je suis allée.
– Il paraît que vous racontiez les scènes que vous aviez tournées à votre mère tous les soirs ?
– Oui, parce que tout ce qu’on faisait dans une journée, c’était comique. Et le fait de pouvoir tout utiliser, la description la plus crue possible, c’était très drôle aussi. J’ai vraiment vécu deux mois d’hystérie totale. C’est génial de vivre ça.
– Est-il exact que vous aimez les blagues de cul ?
– Oui. »
Si le potentiel dramatique de Charlotte Gainsbourg n’a jamais fait aucun doute, son talent comique, irrésistible dans les films d’Yvan Attal mais aussi dans Prête-moi ta main (2006) avec Alain Chabat ou La Bûche (1999) de Danièle Thompson, est désormais une évidence. Là encore, tout ne se fait pas sans douleur.
« Il est beaucoup plus difficile de tourner dans une comédie. Dans le drame on n’a aucune distance : on peut être premier degré et dans l’abandon de soi, c’est relativement facile. Avec la comédie, il faut justement maîtriser le rire, prendre suffisamment de recul sur ce que l’on fait ; c’est beaucoup plus précis et plus compliqué. Je trouve ça casse-gueule et j’ai toujours eu peur d’en faire trop. C’est pour ça que je ne m’aimais pas comme actrice : je savais faire le minimum pour être juste, pour que la scène fonctionne. Mais ce qui est intéressant, c’est d’aller trop loin, d’être ridicule et après de pouvoir reprendre un peu de contrôle. Si on ne se dépasse jamais et qu’on ne va jamais trop loin, ce n’est pas intéressant. Quand je tourne avec Lars ou Yvan, ils me poussent à oser des choses alors que dans une comédie, il faut se pousser soi-même. Je trouve ça beaucoup plus mûr, moi qui aime bien être inconsciente. Dans une comédie, je pense qu’on ne peut pas l’être. N’empêche que j’ai adoré avoir du succès avec Prête-moi ta main. Les gens étaient contents. Ça m’a rendue vachement heureuse. D’habitude, les gens me font des compliments, mais plutôt pour les drames. »
Fille de deux monstres sacrés de la culture française, Charlotte Gainsbourg explique s’être réfugiée, adolescente, dans une bulle qui lui a permis de traverser ces années d’une jeunesse pour le moins atypique sans trop de dégâts. Une bulle à la bibliothèque bien remplie.
« Il y a eu des livres d’abord conseillés par mon père puis par Claude Miller qui a vraiment fait mon éducation. Mon père, évidemment, c’était Nabokov, Huysmans, Céline. Il m’a fallu vingt ans ; je réessayais à chaque fois. Et d’un seul coup… J’ai eu une révélation, mais c’est quand même assez récent. Donc mes lectures ont d’abord été guidées par mon père. Claude, c’était plus les livres qu’on lit enfant, Carson McCullers notamment. J’ai lu Salinger aussi à cette époque. Boris Vian et Michaux. Les poèmes, j’aime tout. Et Isaac Bashevis Singer, parce que j’ai eu une période un peu mystique quand j’ai perdu ma grand-mère paternelle. C’était le côté juif de ma famille. J’ai voulu me rapprocher de la religion et je le faisais en cachette. Car évidemment mon père n’était pas attiré par ça. Mais c’est quand même lui qui m’avait offert une étoile de David. Il n’éprouvait aucune attirance pour ça mais il le revendiquait tout de même – pour lui, pas pour moi. Ma mère n’étant pas juive, je ne le suis pas. Mais moi, je voulais l’être. Donc Singer, ça me parlait beaucoup à cette époque-là. Aujourd’hui, je rame. Je ne trouve rien. Je commence des livres. Je me force à lire en anglais parce que je me dis, quand même, que je suis bilingue, mais c’est laborieux. Je regrette, parce que j’avais un véritable appétit de lecture très jeune. Quand mon père est mort, j’ai arrêté de lire et d’écouter de la musique et ça ne m’a pas manqué. Désormais, je recherche cet état provoqué par les lectures dans lequel j’étais à l’époque. Je lis, pas pour me faire plaisir, mais par obligation. »
Charlotte GainsbourgSe laisser manipuler par Lars von Trier ne lui déplaît pas : Charlotte aime prendre des risques au cinéma (Jeff Burton pour Vanity Fair France).
Il a beaucoup été question, récemment, de la transformation en musée de la maison de Serge Gainsbourg, rue de Verneuil. De nombreux projets ont été évoqués, mais Charlotte Gainsbourg avoue avoir du mal à se décider à ouvrir ce lieu hanté par la présence du roi de la chanson française.
« Avec la rue de Verneuil, je suis dans une merde noire parce que je ne sais pas ce que je veux. Je pensais qu’à la mort de mon père, il n’y avait que ça à faire : un musée. C’est ce qu’il aurait voulu. J’ai essayé, mais ça a mis tellement de temps ! J’ai l’impression d’avoir tapé aux portes de tous les ministères de la culture pendant dix-huit ans. J’avais fait appel à Jean Nouvel et François-Henri Pinault m’aidait aussi à l’époque. On avait mis en place un projet qui se tenait mais la maison rue de Verneuil est toute petite, il y a des objets partout, des meubles qui compliquent le passage. Pour l’ouvrir au public, l’idéal aurait été de construire tout un immeuble autour de mon père. C’était ça, mon rêve. La rue de Verneuil, le (cabaret) Don Camilo aussi, dédié à mon père, il y aurait eu un restaurant, un énorme lieu avec la cour, et tout ça lui aurait été consacré. Ça aurait rendu la rue de Verneuil très évidente, comme un petit bijou avec un écrin autour. Mais ce n’était pas possible : il y a trop de propriétaires différents concernés. Au moment où on a cru que ça allait se faire différemment, en plus petit, il y a eu le film de Joann Sfar (Gainsbourg, vie héroïque, 2010), une expo sur mon père à la Villette, un livre… Je ne me suis pas sentie dépossédée parce que ça n’était pas à moi, mais tout le monde prenait des bouts de lui. J’ai eu besoin de tout fermer, égoïstement. J’aimerais bien qu’on m’aide à ce que le roi ait un lieu, un musée, une sorte de trône, mais moi seule, je n’y arrive pas et j’ai ma vie, alors… »
Charlotte For Ever : elle n’a toujours pas revu le film de son père mais se dit prête aujourd’hui.
PHOTO JEFF BURTON POUR VANITY FAIR FRANCE