« Je suis très sujette à la mélancolie » (Marie Claire)

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Par Marianne Mairesse, Marie Claire, 9 Avril 2010

Marie Claire: Vous venez de donner quelques concerts aux Etats-Unis, comment cela s’est-il passé?

Charlotte Gainsbourg: C’était très court, on n’avait pas un vrai spectacle – enfin, «un vrai spectacle» je ne sais pas ce que ça veut dire. On enchaînait juste les chansons. C’était tout nouveau pour moi, avec un public… J’ai eu des hauts et des bas avec la scène. Quand j’ai donné un concert au Palais de Tokyo, je me suis sentie très mal. J’ai dit: «J’arrête tout.» C’était devant des gens invités, on sentait qu’ils étaient un peu là pour voir ce que ça allait donner, et moi je suis parano, j’ai gambergé. A New York j’ai été très heureuse. Peut-être parce que je n’ai pas de références, que c’est un pays que je ne connais pas si bien. On a joué dans des petits clubs un peu pourris, j’aimais bien l’ambiance. Alors j’essaie de continuer sans me mettre trop de pression. Parce que j’en fais tout un plat. J’ai tendance à penser que je suis seule à devoir prouver quelque chose. Mais je ne suis pas en train de faire un show sur moi! Il faut que ça reste léger.

Marie Claire : Comment vous sentiez-vous avant de monter sur scène?

Charlotte Gainsbourg : Ouh… (Rires.) Il faut que j’apprenne à apprivoiser le trac. Je ne peux pas vivre des mois de tournée avec la peur au ventre. Heureusement les musiciens sont là. Ils ont bien vu dans quel état j’étais, alors on boit un petit coup! ­Monter sur scène n’est pas du tout naturel pour moi. Au théâtre on joue un personnage. Quand on doit être soi-même je ne sais plus. Qui je montre?

Marie Claire : Vous avez peur de quoi?

Charlotte Gainsbourg : De me planter. D’oublier les mots. Jusqu’à présent j’avais les paroles sur des feuilles posées par terre, tellement j’avais peur de perdre les pédales. Je peux m’évanouir, vomir, avoir un blanc… Je n’ai surtout pas envie de décevoir. En fait il faut être prête à ça. Ma mère m’a beaucoup poussée à faire de la scène. Elle est persuadée que je vais avoir une révé­lation, comme elle. Ce n’est pas un hasard si elle est sur les routes depuis des années.

Marie Claire : Votre album est majoritairement chanté en anglais. Vous expliquez votre peur de chanter en français par la comparaison immédiate qui serait faite avec votre père…

Charlotte Gainsbourg : Je me mets la barre trop haut, car c’était un génie de l’écriture, je suis tellement en admiration devant ce qu’il a fait. C’est comme si je partais vaincue. Quand on met quelqu’un sur un piédestal, c’est normal. Chanter en anglais me ­permet de ne pas y penser autant.

Marie Claire : Serait-ce si grave de faire moins bien?

Charlotte Gainsbourg : Non, mais ça me décevrait. Je n’ai pas l’humilité de dire: «Ça va être moins bien, mais c’est ce que je suis.» Pour les ­enfants de personnalités ce n’est quand même pas très simple…

Marie Claire : Votre père est-il déjà tombé de son piédestal?

Charlotte Gainsbourg : Il faut casser ses parents (rires), mais moi j’ai raté le coche. Ensuite il est mort. Quand quelqu’un meurt et qu’on l’a tant aimé, c’est un peu difficile de le casser. Ce n’est franche­ment pas possible.

Marie Claire : Vous ne l’avez jamais détesté?

Charlotte Gainsbourg : Il m’a emmerdé de temps en temps, car j’avais à subir ­l’alcool – c’est difficile pour un enfant. Mais je ne l’ai jamais détes­té, je ne lui en ai jamais voulu.

Marie Claire : C’est ça qui doit être difficile pour vous. Cela soulage de voir ses parents tels qu’ils sont.

Charlotte Gainsbourg : J’en suis sûre. Moi je ne souhaite qu’une chose à mes ­enfants: qu’ils me cassent! Je vais avoir un peu les boules, mais je le leur souhaite.

Marie Claire : Le métier d’actrice et de chanteuse est fait de ruptures avec la famille. Comment le vivez-vous?

Charlotte Gainsbourg : Très mal. J’ai toujours l’impression de faire tout à moitié, d’une façon bancale. Si je le pouvais, j’emmènerais ma famil­le partout où je vais, même pour un jour. Mais ils ont leur vie, ce ne sont pas des objets que je peux déplacer comme ça. C’est moi qui ai choisi de tourner un film, à moi de souffrir pour le faire.

Marie Claire : Est-ce que vous vous sentez chanteuse aujourd’hui?

Charlotte Gainsbourg : Non. Et ça ne me pose pas de problème. Je ne l’ai pas été assez longtemps. J’ai déjà eu tellement de mal à me voir actrice. Encore aujourd’hui d’ailleurs. Dans ma tête, ce n’est presque pas un métier. J’ai entendu beaucoup d’acteurs dire: «J’ai l’impression d’être une imposture.» C’est tellement aléatoire, tellement dû à la chance d’être choisie; ensuite on se dit: «Si seulement le metteur en scène savait que je suis incapable de jouer ça, que c’est du bluff.» En fait on ne fait que bluffer. Il m’a fallu beaucoup de temps pour l’assu­mer. Je ne suis pas une actrice dont le rêve était d’être actrice, qui a fait une école de théâtre et énormément d’efforts pour en arriver là. Moi j’étais totalement inconsciente et innocente, si jeune… Dans la chanson c’est un peu ­pareil. J’ai eu beaucoup de chance qu’Air ait eu envie de travailler avec moi, alors que franchement je n’avais rien fait. Je ne suis pas une chanteuse qui a dix ans de carrière derrière elle.

Marie Claire : Vous dites souvent que la musique est un moment de liberté, une respiration, mais vous est-elle nécessaire?

Charlotte Gainsbourg : Non. Je n’ai pas envie de le dire, car la question légitime est alors: pourquoi je le fais? Je ne me suis jamais sentie artiste. Ce n’est pas vital pour moi. Or je pense que ça doit être vital pour un artiste, d’écrire un texte et de faire passer sa musique. C’est la même chose pour les films. Je serais malheureuse de ne pas en tourner, mais ça ne m’est pas indispensable. Ma famille c’est vital. C’est ma priorité.

Marie Claire : C’est la clé de votre bien-être?

Charlotte Gainsbourg : Ce n’est pas si simple. J’ai connu des périodes où je ne tournais pas et où j’étais mal de ne pas travailler. J’ai une ambi­tion. Ce choix de la famille n’enlève pas les envies. Je l’ai d’ailleurs parfois sacrifiée. Il y a une part importante de rêve dans ce métier. Et il faut se donner la chance de vivre ces rêves.

Marie Claire : Dans «La collectionneuse», vous chantez: «J’observe la nuit et la mort.» Etes-vous tranquille?

Charlotte Gainsbourg : J’ai découvert avec mon accident (en 2007, un accident vascu­laire cérébral, ndlr) que j’étais très angoissée par la mort. ­Jusque-là je m’étais toujours dit: «Ça arrivera quand ça arrivera», je pensais être détendue. Lorsque j’ai réalisé que je n’étais pas passée loin, j’ai eu tellement peur que je suis devenue hypocondriaque; au moindre petit truc j’avais l’im­pression que j’allais crever. Il m’a fallu beaucoup de temps pour m’en remettre. Ma vision très romantique de la mort, quand celle-ci est devenue concrète, a perdu du charme.

Marie Claire : Est-ce qu’on change après un accident?

Charlotte Gainsbourg : Non. On se réveille diminuée, on est très fragilisée, alors effectivement on apprécie tout. Mais dès qu’on va mieux on retrouve le quotidien et les emmerdes. Heureusement d’ailleurs. Moi je n’ai pas cette spiritualité, ce côté zen de pouvoir embrasser la vie, ce n’est pas du tout mon truc.

Marie Claire : Vous avez beaucoup d’états d’âme?

Charlotte Gainsbourg : Oui, et je le regrette. Je suis très sujette à la mélancolie. Puis je connais des moments de grande légèreté. J’ai tendance à beaucoup flotter, ce qui devient angoissant: rien alors ne me remet les pieds sur terre, je ne suis plus ancrée à quoi que ce soit. Je me lève avec un doute, le lendemain je pense le contraire. Cela donne peu de certitudes. C’est difficile de ne pas pouvoir se faire confiance.

Marie Claire : Vous avez dit avoir eu envie d’être «charcutée» par Lars von Trier dans «Antichrist». Vous aimez être malmenée?

Charlotte Gainsbourg : Si ça sert à quelque chose, oui. J’ai vraiment conscience, avec le film de Lars, d’avoir eu un plaisir masochiste. Au bout d’un moment j’étais très contente que ça s’arrête, mais j’ai quand même une complaisance avec la souffrance, les idées noires, tout ce qui m’a habitée pendant les deux mois du tournage. Je me suis sentie très manipulée par lui, mais avec ma volonté à moi.

Marie Claire : Récemment, Yvan Attal nous révélait que désormais il acceptait le regard des hommes sur vous. Et vous, comment vous vivez leurs regards?

Charlotte Gainsbourg : C’est flatteur. Mais j’ai tendance à toujours être un peu dans le flou. Je ne suis pas du tout prédatrice. J’ai cherché ­pendant si longtemps à être discrète, j’ai toujours fui le regard des autres; c’était ma façon de me protéger et d’avancer. Vous voyez: je ne vous regarde pas droit dans les yeux. On m’a toujours dit que c’était hyper-lâche, il ne faut pas enseigner cela à ses enfants! Je n’ai pas un rapport direct avec les gens, mais je m’en sors bien ainsi. Ça me convient.

Marie Claire : A l’inverse, comment vivez-vous le regard des femmes sur votre mari?

Charlotte Gainsbourg : Ça m’excite! Je rigole. Je suis très jalouse, mais c’est aussi un jeu. Ça me plaît de voir des filles lui tourner autour… Peut-être parce que je ne me suis jamais sentie directement menacée.

Marie Claire : Vous avez toujours un petit diamant autour du cou. D’où vient-il?

Charlotte Gainsbourg : Claude Berri me l’a offert avant qu’on tourne ensemble «L’un reste l’autre part», il a donc une valeur très sentimen­tale. Avec la montre d’Yvan, ils ne me quittent pas.

Marie Claire : Quel est votre plus grand plaisir dans la vie?

Charlotte Gainsbourg : Ça va sembler très bateau, mais c’est de rigoler avec mes enfants. Plus rien n’existe alors.

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