Charlotte Gainsbourg affronte ses peurs (Femina – Suisse)

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Par Eileen Hofer, Femina Magazine, le 7 août 2011

Maman depuis juillet d’une petite Joe, Charlotte Gainsbourg ose le risque, mais pas l’infidélité. A l’affiche de «Melancholia» qui sort sur nos écrans ce mercredi, la comédienne sonde à nouveau ses limites auprès du tapageur Lars von Trier. Côté musique, elle remet le couvert avec Beck. Pourquoi changer une équipe qui gagne?

La rencontre devait avoir lieu à Cannes sous une étouffante plage de la Croisette au lendemain de la présentation en compétition officielle du sublime Melancholia de Lars von Trier. Mais voilà, Charlotte Gainsbourg annulait la totalité de ses rendez-vous. L’excuse officielle: son septième mois de grossesse exige un repos mérité. La raison supputée (mais jamais confirmée): l’esclandre provoqué par le cinéaste danois, qui devenait persona non grata du prestigieux festival, après avoir évoqué sa «sympathie» pour Hitler.

L’entrevue aura finalement lieu dans un palace parisien. Charlotte Gainsbourg sirote un thé vert, son ventre bigrement arrondi et le sourire indéfectiblement greffé aux joues. L’épisode cannois étant alors clos, l’actrice qui donne la réplique dans Melancholia à Kirsten Dunst aborde sa deuxième collaboration avec Lars von Trier avec une douceur teintée parfois d’horreur. Sans fards ni chichi, la compagne d’Yvan Attal lève le voile sur ses doutes, ses peurs et son patrimoine familial. Aujourd’hui, la fille de Jane Birkin et de Serge Gainsbourg a soufflé sa 40e bougie et vient de donner naissance à son troisième enfant, Joe. Alors, même si l’apocalypse se profile à vitesse grand V dans Melancholia, l’actrice préfère susurrer l’avenir en rose à sa petite dernière.



FEMINA Dans Melancholia, une planète se dirige vers la terre. Cette thématique de la fin du monde vous préoccupe-t-elle à l’orée de 2012?
CHARLOTTE GAINSBOURG Cela ne me parle pas du tout, je n’y pense pas, je ne suis pas pessimiste de nature. Je suis envahie de mille peurs, mais pas d’une peur globale du monde.

De quoi avez-vous peur dans la vie?
J’aurai plus facilement peur qu’il arrive quelque chose à l’un de mes proches, à l’un de mes enfants.

Et dans votre travail, quelles craintes vous habitent?
La règle numéro un que mes parents m’ont transmise enfant était de ne jamais avoir la grosse tête et de rester humble. Je crois que je les ai trop écoutés car je me suis toujours dévalorisée. Encore maintenant, je me remets constamment en question, je me demande si je serai à la hauteur d’un nouveau projet. Je doute de tout jusqu’au premier jour d’un tournage. Ma mère, elle, n’aime pas se regarder jouer. Cela a dû déteindre sur moi.

Vous avez commencé à travailler jeune. Pourquoi ne pas dominer ces angoisses?
A force de me remettre constamment en question et ce, malgré les années d’expérience, je me suis demandée si j’étais normale car mes parents ont toujours été rassurants. Aujourd’hui, j’ai compris que ces peurs m’animent et me donnent la force d’affronter de nouvelles aventures.

Ces défis vous permettent-ils de surmonter cette fragilité que vous dégagez?
Je crois. En tous les cas, je cherche cette provocation. En travaillant comme actrice, je veux sonder cette voie, me confronter à mes peurs. C’est pour cela que ma première collaboration avec Lars von Trier m’avait plu. Le tournage de Antichrist m’avait sorti de mes gonds et obligé à explorer une violence que je possède au tréfonds de mon être, mais que je n’exprime pas souvent.

Cette collaboration avec Lars von Trier vous avait valu le prix d’interprétation féminine à Cannes en 2009. Comment sort-on indemne d’une telle folie psychologique?
Le but n’est pas d’en sortir indemne. Le tournage de Antichrist s’est fait en petite équipe. Au fil des jours, je m’étais habituée à être dans cet excès d’hystérie, de cris, de larmes, de nudité. Lars n’aime pas le confort, il est même très extrême dans ses exigences. C’était dur de revenir dans un quotidien calme où l’on doit s’exprimer gentiment! Etonnamment, j’ai accusé le coup plus tard, quand j’ai repris l’enregistrement de l’album que je faisais avec Beck. Je logeais seule dans un hôtel à Los Angeles, c’est à ce moment que j’ai payé les pots cassés.


Comment vous ressourcez-vous à la fin d’un tournage?
Auprès de mes enfants.

Et en tournage, votre famille vous accompagne-t-elle ?
En général, je prends chacun d’eux dans ma valise. Mais il n’y avait pas de sens de les avoir à mes côtés sur Antichrist. J’envoyais des textos à ma mère et lui décrivais mes scènes. On rigolait beaucoup car on passait du film gore au drame psychologique et même par le film porno: tout était mélangé et violent.

Cela ne vous a pas empêché de remettre le couvert en acceptant un rôle dans Melancholia sans même connaître le scénario. Quelle a été votre relation avec Kirsten Dunst?
Très bonne, même si au début j’ai eu du mal à trouver ma place sur ce tournage. J’étais livrée à moi-même. Je ne me sentais pas très généreuse en référence à l’expérience précédente où j’avais Lars pour moi. Ici, il fallait que je le partage. Il s’occupait forcément plus de Kirsten avec laquelle il a eu un très bon rapport. Parfois, je ne savais pas ce que j’avais à faire puisque tout n’était pas écrit. Lars octroie beaucoup de liberté à ses acteurs et d’autant plus s’ils n’ont pas de texte dans une scène. Je trouvais cela intimidant et déroutant.

Vous campez Claire, une épouse et mère raisonnable qui tente de sauver sa sœur cadette de la dépression. Votre personnage, ancré dans la réalité, vous a-t-il plu?
Je n’aimais pas ce rôle et pourtant, je suis heureuse de l’avoir fait. Dans Antichrist, mon personnage développait une folie après la mort de son enfant. Là, il est plus subtil, ni méchant ni malade, juste normal. Mais je ne me suis pas reconnue dans ce personnage bourgeois que j’ai eu du mal à cerner et que je trouvais lâche.

Et pourtant Claire se libère de ses conventions pour réagir de manière presque animale. Comment Lars von Trier arrive-t-il à provoquer cela, en vous?
J’étais excitée de sonder cette panique, mais il y avait quelque chose de dégradant à exprimer cela. Lars m’a cuisiné jusqu’au bout, c’était une torture. Il a aussi voulu tenter une expérience avec moi. Pour que je parvienne à laisser sortir toute cette violence de moi lors d’une séquence, il m’a proposé de choisir une musique. J’étais terrifiée car il attendait un déchirement, une réaction bestiale. J’ai dû approcher cet extrême qui se situe au-delà même du jeu. On se conditionne pour entrer dans un délire de torture, de souffrance. On a l’impression d’être exhibitionniste et impudique. C’est affreux!

Vous parlez de pudeur alors que vous avez grandi entouré de parents qui se sont souvent exhibés lorsqu’ils vivaient ensemble.
C’était une autre époque! Par exemple, nous faisions des photos tous ensemble. Je pense qu’ils n’avaient pas l’impression de s’exposer, ils agissaient naturellement, il y avait quelque chose de plus naïf. Aujourd’hui, par contre, ce serait impudique de faire la même chose. Après, cette spontanéité s’est retournée contre eux. Quand ils se sont séparés, ils ont eu sur leur dos les paparazzi qui les pourchassaient, c’était effroyable à vivre.

En quoi vos parents vous ont-ils influencé dans votre art?
Nous étions assez libres de nos choix. Je ne me rappelle pas avoir été amené à voir telle expo ou tel musée. Mon père nous interdisait parfois d’écouter certains musiciens, ce qui était idiot car il ramenait de sa maison de disques des albums d’artistes pourris!

Est-ce qu’il vous a initié à la musique?
J’entendais mon père jouer du piano, mais c’était épisodique car il avait tendance à travailler à la dernière minute et pondait douze titres avant de rentrer en studio. Nous baignions dans un milieu artistique sans qu’il soit étouffant.

Est-ce que vous jouez d’un instrument?
Du piano. J’ai appris à en jouer après la séparation de mes parents. Mon père était fier que j’en fasse, mais il avait tellement été torturé par son propre père qui lui avait appris le piano qu’il ne voulait pas m’imposer de cours. De mon côté, j’ai voulu transmettre cela à mes enfants mais je l’ai fait trop en force, alors j’ai levé le pied.

Quels souvenirs de famille datant d’avant la séparation de vos parents vous restent en tête?
J’ai des supersouvenirs de notre vie de famille en Normandie. Mes parents étaient très simples. Je les ai plus vu s’amuser que travailler. On jouait tous ensemble, on sortait beaucoup.


Quelles sont les valeurs que vous leur devez?
Ils m’ont transmis des valeurs fortes et le respect de notre confort de vie. Grâce à ça, nous n’avons jamais été  blasés. Malgré leur succès réciproque, mes parents ont toujours fait preuve d’une certaine humilité. Certes, conscient de son talent, mon père avait des prétentions, mais comme son succès est arrivé sur le tard, il est resté modeste avec les gens.

Que pensez-vous transmettre à vos enfants?
Je ne me considère pas comme un porte-flambeau de valeurs très nobles. J’observe le regard que posent les autres sur ma mère. Les gens l’aiment parce qu’elle est proche d’eux. Elle possède cette simplicité. J’espère avoir transmis ce naturel à mes enfants, mais j’avoue que je n’en sais rien. On veut forcément le meilleur pour eux. Je ne sais pas si j’en suis capable de le leur offrir. Je me dis parfois que je suis un mauvais parent, c’est plus rassurant d’avancer ainsi, en sachant que l’on fait des erreurs.

Vous faites partie d’un clan avec lequel vous collaborez souvent, notamment avec Yvan Attal, votre compagnon à l’écran comme à la ville.
Mon père nous a transmis cet esprit de clan sans le vouloir. C’était un plaisir pour lui de travailler en famille et de nous mettre en avant. Quand on a chanté ensemble Lemon incest, il n’y avait rien de forcé, cela s’est fait naturellement. Pour Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, Yvan cherchait un garçon pour jouer le rôle de notre fils. Il s’est rendu compte que celui qu’il cherchait était chez nous, on l’avait sous la main, mais j’avais peur d’exposer notre fils. Je ne voulais pas qu’il en souffre. Au bout du compte, c’est idiot de ne pas faire des projets entre nous à cause des éventuelles retombées médiatiques.

Votre fils veut-il continuer dans cette voie?
Je ne sais pas du tout, il est encore très jeune.

Vous-même médiatisez peu votre vie.
J’ai vécu difficilement la séparation de mes parents et cette traque incessante des paparazzi. Je n’avais que 9 ans alors et même si je ne me rendais pas compte de tout, cela m’avait dégoûté d’apparaître dans la presse. Par la suite, j’ai eu peur de m’exprimer. Lors de mes premières interviews, j’étais mal à l’aise, j’avais peur que l’on me tende des pièges.

Vous avez campé George Sandaux côtés de Pete Doherty (Alfred de Musset) dans Confession d’un enfant du siècle. Est-ce qu’une collaboration musicale pourrait naître un jour entre vous deux?
Non. Nos conversations étaient focalisées sur le film et sur nos rôles respectifs. Je crois d’ailleurs qu’il a mis la musique complètement de côté.

Après le succès de votre dernier album, quels sont vos projets musicaux?
Je collabore encore avec Beck. Comme il devait venir à Paris, on a décidé de travailler sur de nouveaux morceaux en juillet, les dernières semaines avant mon accouchement. A voir si cela nous mènera vers un nouvel album…

«Melancholia» de Lars von Trier, avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg…

2 commentaires

  1. Charlotte Gainsbourg affronte ses peurs. Je l’avais bien ressenti également avec son changement radical de rôles, notamment avec Lars Van Trier… Suite à son incident de santé probablement. Une envie de tout explorer, de se dépasser.
    Je préférais quand même la période Attal mais ça n’engage que moi. Bravo Charlotte !