Charlotte Gainsbourg: « Je me sens autant chanteuse qu’actrice » (L’Express Styles)

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Plus épanouie, plus rock que jamais, elle défend son quatrième album, Stage Whisper (Live & inédits), un double disque tribal, électronique, aérien. Et vient de tourner au côté de Pete Doherty.

Interview.

Elle nous accueille dans son appartement parisien assise en position du lotus, au pied d’une table basse, vêtue d’un jean et d’un tee-shirt gris-noir. Son visage au teint de porcelaine est encadré par de longues mèches brunes. Elle a la grâce d’une geisha et l’allure rock de Patti Smith. A 40 ans, Charlotte Gainsbourg a l’air heureuse: elle est maman pour la troisième fois -de la petite Joe, 4 mois- et présente le plus bel album de sa carrière. Car Stage Whisper (Live & inédits) dévoile une artiste aux prises avec les démons de la scène. Dix titres live du disque et un DVD montrent la métamorphose de la chanteuse au cours de sa première tournée à travers le monde, en 2010. Et la transition d’un timbre frêle à une voix musclée, détonante, diaboliquement sensuelle. En pleine phase romantico-punk, la muse de Lars von Trier a aussi tourné avec l’enfant terrible du rock, Pete Doherty, dans Confession d’un enfant du siècle, une adaptation du roman d’Alfred de Musset par Sylvie Verheyde. Douce, drôle, sincère, elle se raconte à travers ses passions : la musique, le cinéma, sa famille…

Les huit titres inédits de Stage Whisper ont été notamment composés par Beck, avec qui vous aviez déjà collaboré. Avez-vous participé cette fois-ci encore à l’écriture des textes ?
Moins que sur mon album précédent, IRM. Je voulais me concentrer sur l’interprétation. Vous savez, je cherche encore ma voix ! L’album que mon père m’a composé quand j’avais 15 ans m’a travaillé toute ma vie… Malgré mes trois disques, je me sens encore toute nouvelle dans la chanson. J’ai besoin d’être motivée. Beck me connaît tellement bien que ses textes dévoilent ma personnalité bien plus que je ne saurais le faire. La chanson Terrible Angels, par exemple, parle d’une lutte contre soi-même, de « mains » qui vous tirent vers le bas… Quand j’ai chanté ce morceau en studio, Beck m’a dit: « Essaie de le crier. Ose! » J’ai éprouvé du plaisir à me brusquer, à sortir du confort. A chaque prise, j’allais un peu plus loin.

Stage Whisper est aussi un témoignage de votre première expérience sur scène. Comment s’est passée votre tournée ?
Mon agent m’a conseillé de débuter par l’étranger, le Canada et les Etats-Unis, où j’étais très peu connue. A Vancouver, ça allait plutôt bien. Mais quand mon mari, Yvan [Attal], mes deux enfants et ma mère [Jane Birkin] ont débarqué à Montréal, j’ai complètement perdu les pédales. Ma voix luttait avec les instruments et je n’avais qu’une chose en tête: ma mère, à laquelle je me comparais. Elle instaure une proximité incroyable avec le public. Moi, je ne sais pas le faire! Au Festival de Coachella, en Californie, devant 5 000 personnes et complètement paralysée par le trac, je me suis dit que soit je fonçais, soit j’arrêtais tout. J’ai essayé de pousser ma voix le plus possible, de ne pas me juger, quitte à être ridicule… J’ai compris qu’il fallait que je trouve ma propre justesse.

L’avez-vous trouvée ?
Pas encore, mais j’ai cessé de me réfugier dans la facilité, de chanter avec cette petite voix fluette. J’aime l’idée de lâcher prise, de m’en foutre. Je suis trop sage, je veux trop bien faire… Et ce n’est pas amusant! Mon père m’a beaucoup appris à ce sujet. Lui ne cherchait que les accidents. Il se fichait de la perfection. Il me disait qu’il ne fallait pas prendre de cours de chant: « C’est quand la voix déraille que c’est intéressant. Si c’est seulement bien chanté, bon élève, ça n’a aucun intérêt. » Pour assumer cette théorie et en tirer du plaisir, il faut beaucoup de courage. Il faut oser être « faux ».

On vous voit danser sur le clip de Terrible Angels! Quel rapport entretenez-vous avec votre corps ?
Tourner cette vidéo m’a plu, mais je ne suis pas une danseuse. J’ai opté pour une chorégraphie très simple. De plus, j’étais enceinte… Ça ne se voit pas, car on a effacé le ventre sur chaque plan ! [Rires.] En revanche, occuper l’espace pendant les concerts a été très dur. Un pur vertige! Je ne m’exprime pas facilement par le corps. Je suis très timide… Et quand on est tendu, crispé, la voix ne sort pas. Alors je me suis cachée derrière une batterie: ça aide ! Mais je tapais en faisant un peu n’importe quoi… Finalement, je me dis que le fait d’être mal à l’aise, maladroite, après tout, c’est moi. Je ne vais pas devenir d’un seul coup une bête de scène !

Parlez-nous de cette reprise de Dylan, Just Like a Woman?
Dans I’m Not There, de Todd Haynes, j’incarnais Sara, l’ex-femme de Bob Dylan. Pour l’album, j’ai choisi cette chanson, car le texte est plein d’humour et je me suis amusée à l’interpréter comme on joue un rôle de cinéma. J’ai toujours pensé qu’il n’y avait aucun rapport entre chanter et se trouver devant une caméra. J’ai changé d’avis! Aujourd’hui, je ne me sens pas plus chanteuse qu’actrice: je trouve ma raison d’être au travers des expériences. Que ce soit au cinéma, avec Lars [von Trier], ou en musique, avec Beck.

Comment s’est déroulé le tournage de Confession d’un enfant du siècle avec Pete Doherty ?
Je n’ai pas rencontré l’enfant terrible du rock, mais un acteur formidable. Je joue son amante Brigitte, un personnage inspiré de George Sand, avec qui Musset eut une liaison tourmentée. Pete est parfait dans son rôle de dandy écorché vif, qui ne cesse de rendre jalouse sa bien-aimée. C’est quelqu’un d’extrêmement attachant, hors du temps: il trimbale avec lui un bagage romantique, qui correspond à son personnage. J’ai toujours aimé ses disques, mais je n’ai jamais chanté, ni joué de la musique avec lui pendant le tournage.

Il y a quarante ans sortait Histoire de Melody Nelson. Sur la pochette, Jane Birkin, enceinte de vous, tient une peluche dans les mains…
Ah oui, c’est Monkey! [Rires.] C’était son singe, son doudou: je l’ai toujours vue avec. Quand mon père est mort, elle l’a glissé dans sa tombe. Monkey nous accompagnait partout… Chaque fois que quelqu’un de la famille partait en voyage, il fallait qu’il emporte une de ses chaussettes, son tee-shirt…

Que pensez-vous du disque de Lulu Gainsbourg qui rend hommage à votre père?
J’ai adoré son album et, en particulier, sa reprise de Bonnie and Clyde avec Scarlett Johansson. J’ai aussi été très touchée parce que c’est mon petit frère: je l’ai vu s’approprier la musique, trouver sa voie… En général, j’ai tendance à ne pas vouloir travailler avec ma famille: je l’ai fait avec mon père, d’une manière très naturelle, puis avec ma mère, de manière moins naturelle… J’ai failli jouer le rôle de Serge Gainsbourg dans le film de Joann Sfar. Mais j’ai pensé finalement que ça n’avait pas de sens. Il a fait son parcours sans moi. Et je n’ai pas voulu voir Gainsbourg (vie héroïque). Pour revenir à Lulu: oui, j’aimerais avoir un projet artistique avec lui. Finalement, pourquoi ne pas se faire plaisir, pour une fois. Sans trop réfléchir.