Dans la tête de Charlotte Gainsbourg (Studio Magazine)

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Par Propos recueillis par Jean-Pierre Lavoignat et Thierry Cheze (Studio Magazine), publié le 19/03/2007

Alors qu’elle partait pour l’Argentine, rejoindre le plateau de The Golden Door, nous l’avons rencontrée. Elle nous a confié ses états d’âme et son état d’esprit du moment. Instantanés.
ALORS QU’ELLE PARTAIT POUR L’ARGENTINE, REJOINDRE LE PLATEAU DE THE GOLDEN DOOR, NOUS L’AVONS RENCONTRÉE. ELLE NOUS A CONFIÉ SES ÉTATS D’ÂME ET SON ÉTAT D’ESPRIT DU MOMENT. INSTANTANÉS.

CANNES
« Je n’ai présenté qu’un film à Cannes : Le soleil même la nuit des frères Taviani [hors compétition, en 1990]. Mais mon tout premier voyage sur la Croisette remonte à 1984. J’accompagnais ma mère [Jane Birkin], venue pour La pirate [de Jacques Doillon]. J’étais restée à l’hôtel pendant la projection. J’en garde un sentiment horrible : le film avait été sifflé dès le générique de début, ce qui avait évidemment affecté ma mère. En plus, Lou [Doillon, sa demi-s’ur], restée à Paris, était tombée dans les escaliers et ses dents s’étaient enfoncées dans son palais. On est rentrées d’urgence. Mon premier souvenir de Cannes reste donc’ Lou avec sa tête déformée ! (Rires.) Ensuite, en 1986, on m’a demandé de faire l’ouverture du Festival. J’étais entrée sur scène en compagnie de Charles Vanel. De ce moment, je ne me rappelle rien précisément, juste que je n’ai pas eu le trac. Mais je n’avais rien à dire, juste à entrer sur scène. »

L’ANGOISSE DE LA PROMO
« Je suis angoissée à l’avance par la conférence de presse de Lemming à Cannes, même si je ne suis pas sûre de pouvoir y assister, car je pars tourner en Argentine. J’en ai déjà fait dans d’autres festivals, et ça a été atroce. Le fait qu’on soit plusieurs sur l’estrade ne me soulage pas. C’est comme un compte à rebours ; j’attends avec angoisse mon tour d’être interrogée. Je ne suis jamais à l’aise dans ce genre d’exercice, et cela vire souvent au cauchemar. Même chose pour les plateaux télé : j’ai de plus en plus le trac. Je n’ai, dans ces moments-là, plus aucune confiance en moi. Cela vient sans doute de mes premières interviews : j’ai un tel souvenir du gouffre qui s’ouvrait alors sous mes pieds ! Et puis, je sens l’angoisse du journaliste en face de moi, sa peur de ne pas arriver à me faire parler, que je sois mal à l’aise’ et ça me met encore plus mal à l’aise. »

REJOINDRE LES PLUS GRANDS
« Je suis souvent frustrée par mon travail, parce que je suis consciente de mon incapacité à dépasser un certain stade dans mon jeu, alors que mon ambition est de faire partie des plus grands. Cela peut paraître prétentieux, mais c’est cette ambition qui me permet d’avancer. J’ai envie de me surpasser pour atteindre le niveau des acteurs que j’admire. J’ai vu récemment [le téléfilm] Angels in America et admiré la succession de numéros d’acteurs incroyables : Meryl Streep et Al Pacino y sont stupéfiants de finesse et d’intelligence. Je me sens si loin d’eux’ Sur 21 grammes, j’ai saisi à quel point Sean Penn vit son métier différemment de moi. Ce métier, c’est sa vie. Il est plongé dedans, au point, souvent, d’en souffrir ou de paraître barge. Je n’ai pas ce côté obsessionnel. Mon métier, ce n’est pas ma vie. En plus, je sais que je ne peux pas ‘faire mon numéro’ toute seule : pour bien jouer, j’ai besoin du désir du metteur en scène, de sentir que je ne suis pas seule avec mon personnage, de pouvoir en discuter, bref, de me sentir guidée, épaulée. »

YVAN ATTAL
« Jouer sous la direction d’Yvan donne lieu à deux sentiments contradictoires. Je me sens plus à l’aise’ mais j’ai plus de pression. Il est très exigeant sur le plateau. Pour Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants, il a toujours prétendu que ce rôle serait plus facile pour moi que celui de Ma femme est une actrice. Et il avait raison. Mais l’idée de le décevoir m’est, bien sûr, encore plus insupportable que lorsqu’il s’agit d’un autre metteur en scène. En contrepartie, il y a, avec lui, ce plaisir de comprendre précisément ce que la personne en face de moi désire, de saisir ses exigences et d’être sur la même longueur d’onde. Je ne peux connaître ça avec personne d’autre. Je pense aussi qu’il a accru mon désir de rencontrer des cinéastes, peut-être même de les privilégier dans le choix de mes films. En tout cas, j’ai le sentiment d’éprouver de plus en plus de curiosité pour eux, d’être prête à partir pour des aventures avec des gens qui m’intéressent' »

Ma capacité D’ADAPTATION
« Tourner avec Michel Gondry a été une belle expérience. The Science of Sleep est un film fait avec trois euros, caméra à l’épaule, quasiment sans lumière ni maquillage, dans des décors minuscules et avec une grande liberté. On n’entend pas ‘Moteur’ ni ‘Coupez’ ; on enchaîne les prises ; Gondry va à la pêche, se sert de tout ; on joue beaucoup à l’instinct’ Mais cela ne m’a pas empêchée d’éprouver certaines frustrations. Mon problème, c’est que je m’adapte à tout : si les conditions idéales pour moi ne sont pas réunies, je m’en accommode. Et, du coup, je ne fais que ce que je peux faire, au lieu d’aller plus loin. Je ne me bats jamais pour imposer mon désir ou un contexte idéal pour réussir telle ou telle scène. Par timidité, je m’en empêche, je laisse passer. »

CHANTER
« C’est un concours de circonstances qui m’a ramenée vers la chanson. J’en avais le désir depuis longtemps, mais je ne m’autorisais même pas à y penser. Ce n’est pas mon métier et je ne me voyais pas faire quoi que ce soit dans ce domaine sans mon père. Régulièrement, des maisons de disques me relançaient. Quand Madonna m’a contactée pour utiliser ma voix sur « What It Feels Like for a Girl », ça m’a redonné l’envie. C’était en anglais ; ça n’avait rien à voir avec ce que j’avais fait avec mon père ; c’était comme si j’avais puisé une nouvelle légitimité. Puis le groupe Air m’a fait savoir qu’il avait envie de travailler avec moi, et comme c’était réciproque, tout s’est enchaîné naturellement. On est déjà allés deux fois quinze jours en studio, juste pour des séances de travail. Ce qui est sûr, c’est que ça va être certainement plus long que prévu. (Rires.) J’aime leur musique et l’ambiance qu’elle crée. Là encore, ça n’a rien à voir avec ce que j’ai fait avant. Je prends un immense plaisir à enregistrer des chansons. C’est le contraire d’un tournage. Une récréation. Il n’y a aucune pression, juste du plaisir. Dans un studio, je me sens dans un monde à part, un vrai cocon. »

BOB DYLAN
« J’ai un rapport étrange à la musique. Avant que mon père meure, je ne me posais aucune question ; j’avais le sentiment d’avoir toutes les libertés. Sans lui, tout était devenu douloureux. Toute musique me ramenait à lui. Je ne m’autorisais plus aucune curiosité dans ce domaine. Je recommence seulement à prendre du plaisir à me plonger dans ce qui se fait aujourd’hui, comme The Divine Comedy, par exemple, mon dernier coup de c’ur. En plus, je redécouvre Bob Dylan, grâce au film sur sa vie que va réaliser Todd Haynes et qu’il m’a proposé. Jamais un metteur en scène ne m’avait fourni autant de documentation. Je dévore tout ce qu’il m’a donné : les livres, les articles, les disques’ Cette pêche aux informations, c’est une partie du métier que j’adore. C’est un jeu de piste génial. »

JOUER EN ANGLAIS
« Je n’en reviens toujours pas que des cinéastes étrangers me proposent des films. C’est sans doute dû au succès de Ma femme est une actrice aux États-Unis et , bien sûr, à 21 grammes, mais aussi à Cement Garden [de son oncle, Andrew Birkin, film sorti en 1992], qui a eu une sorte de vie souterraine et a finalement été vu par beaucoup de professionnels. J’aime bien tourner en anglais. Ce qui me fait peur, c’est que les Anglais et les Américains jouent beaucoup avec les accents, et que moi, je n’ai que le mien. Sur 21 grammes, on m’a demandé, la veille du tournage, de prendre un accent américain au lieu de l’accent anglais prévu. Heureusement, ils ont renoncé à cette idée, mais cette demande, qui représentait une montagne pour moi, leur paraissait banale ! »

‘PETER PAN’
« En ce moment, j’essaie de lire en anglais. C’est un exercice compliqué. Je me rends compte qu’il me manque du vocabulaire. D’ailleurs, si j’ai commencé par Shakespeare, je me suis vite rabattue sur’ Peter Pan ! (Rires.) Maintenant, je suis passée à Orgueil et préjugés de Jane Austen. Sinon, les derniers livres que j’ai aimés, ce sont les biographies écrites par Stefan Zweig, notamment celle de Marie-Antoinette. Et aussi Suzanne la pleureuse d’Alona Kimhi, l’histoire d’une fille de Tel-Aviv qui est inadaptée au monde qui l’entoure. C’est drôle, ça ferait un beau film. D’ailleurs, je crois que les droits ont déjà été achetés. »

LONDRES
« Je sens bien qu’il y a une partie de moi qui est anglaise ‘ c’est lié, bien sûr, à mes souvenirs d’enfance, à la culture que ma mère m’a transmise ‘, mais c’est comme si, en France, je l’oubliais. Par timidité, par peur de ‘la ramener’. En revanche, dès que je traverse la Manche, cela revient instantanément. Même si, depuis que j’ai perdu ma grand-mère, j’éprouve de la tristesse à retourner à Londres. Le fait de ne plus aller chez elle, mais à l’hôtel, c’est comme si ma présence là-bas n’était plus tout à fait légitime. Pourtant, chaque séjour ne fait que confirmer mes liens avec ce pays. En plus, lorsque je me balade dans les rues de Londres, je me sens tellement libre’ Personne ne me reconnaît, je fais ce que je veux, je m’habille comme je veux. »

LA MODE
« Contrairement à ce que l’on peut croire, je ne m’intéresse pas à la mode. Cela me fait rire de voir des magazines détailler les vêtements que je porte. Moi, j’ai l’impression de m’habiller de la même manière depuis des années. Je suis très paresseuse par rapport à ça. Ça m’arrive, certes, d’aller de temps en temps à des défilés de créateurs que j’adore, mais autant j’aime le spectacle en lui-même, autant je trouve horrible d’être soi-même observée en train de regarder les fringues et les mannequins qui les portent. »

L’ARGENTINE
« Je pars en Argentine pour trois mois, tourner The Golden Door, d’Emanuele Crialese, le réalisateur de Respiro. Je n’avais pas vu ce film à sa sortie. Je l’ai découvert en DVD et adoré. Comme j’avais rendez-vous avec le réalisateur dans la foulée, ce fut un moment magique. Mais, outre sa personnalité et le scénario, je suis aussi attirée par l’idée de tourner un film hors de France avec un Italien ; par le fait de ne pas être en terrain connu, d’aller vivre une aventure. »

LAISSER UNE TRACE
« Je trouve marrante l’idée que mes enfants puissent me revoir dans les films. Un peu comme quand ma mère me projetait les super-8 de son enfance. D’ailleurs, l’autre jour, j’ai montré à mon fils Ben La petite voleuse, qui passait à la télé. Mais, s’il a trouvé ça rigolo deux secondes, il est vite passé à autre chose. (Rires.) »

LA TRANSMISSION DU MÉTIER
« Je suis très reconnaissante à ma mère de m’avoir donné de ce métier une image magique, d’avoir créé en moi la certitude qu’il n’y avait rien de mieux au monde. C’est grâce à elle que j’ai eu envie de devenir comédienne. Pourtant, j’ai longtemps hésité avant d’accepter que Ben joue dans Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. J’étais très inquiète. Et Yvan était si rigoureux avec lui que j’ai eu beaucoup de mal à assister à ça, à laisser les choses se faire simplement. Ils se débrouillaient mieux quand je n’étais pas sur le plateau : j’étais si tendue que je devais leur communiquer mon stress. Mais je pense que Ben, lui, a pris beaucoup de plaisir. Pour autant, je ne souhaite pas qu’il continue dans cette voie. C’est une profession que j’adore, mais je la vis avec trop de frustration pour la conseiller à mon fils. Je n’ai pas envie de voir les gens que j’aime dans des périodes de doute, de creux. Or la galère est de mise dans ce métier. Metteur en scène, en revanche, je ne dis pas non. (Rires.) »

 

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