Je t’aime… moi non plus, Charlotte Gainsbourg et Yvan Attal, comment ils jouent avec leur histoire (Vaniry Fair)

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Sur scène, Charlotte Gainsbourg et Yvan Attal jouent à se raconter en films et en chansons, glissant ici et là leurs agitations secrètes, leurs démons et leurs fantômes. Marion van Renterghem les a rencontrés « pour de vrai », quand les projecteurs s’éteignent.

Yvan discute au bar avec sa sœur, un peu esseulé et vaguement irritable : sa femme Charlotte est en train de tourner un film en Angleterre. Un copain arrive au café et s’incruste dans la conversation. Il a vu Charlotte au cinéma la veille. Et il a une question qui lui brûle les lèvres, depuis tellement longtemps que c’en est intenable. Il la jette à Yvan :
« Je peux te demander un truc ? Ça te fait pas chier que ta nana soit actrice ?
– Pourquoi  ? Qu’est-ce qu’elle fait ta nana, toi  ?
– Elle est dentiste. Grâce à Dieu  !
– Et ça te fait pas chier  ?
– Ben, elle couche pas avec plein de types.
– Ah, tu crois que la mienne, elle couche avec plein de types ?
– Ben, je sais pas. C’est son métier…
– Euh, je crois que tu confonds avec les putes.
– Nan nan nan, sans déconner, ça m’intéresse. J’te jure, ça m’intrigue le fait que tu sois avec une actrice.
– C’est quoi qui t’intrigue­ ?
– Franchement, ça te fait pas chier de voir ta nana embras­ser un mec dans un film, même coucher avec lui ? Surtout qu’en plus ils refont la scène plusieurs fois…
– Attends, t’as envie de me prendre la tête ou quoi ? C’est pour de faux ! C’est pas vrai. C’est du cinéma.
– Me prends pas pour un con. J’en ai vu, des films. Quand ils s’embrassent, ils s’embrassent. Ils se roulent des pelles, ils se fourrent la langue dans la bouche, quand même, me dis pas que c’est pas vrai ! J’te jure, c’est un truc que j’trouve incroyable. Enfin moi, je pourrais pas.
– Je peux te demander un truc moi, maintenant ? Ta nana, elle est dentiste ?
– Ouais. »

Yvan lui balance son poing dans la mâchoire. Ça fait du bien, mais pour lui, c’est foutu : il est devenu jaloux. Sa femme est une actrice, c’est indubitable. Elle couche avec plein de types. Plusieurs fois, en plus.

C’était en 2001 et c’était pour de faux. Yvan Attal jouait Yvan et Charlotte Gainsbourg, Charlotte. Yvan réalisait son premier film, Ma femme est une actrice, désopilante transposition de leur histoire familiale. Pour de vrai, Charlotte Gainsbourg et Yvan Attal, 46 et 53 ans, en sont à vingt-sept ans de vie commune, trois enfants, un paquet de prix et de nominations chacun et cette manière bien à eux de se raconter dans leurs œuvres, d’y glisser leurs agitations secrètes, leurs questions, leurs démons, leurs vies. Les films d’Yvan Attal sont une histoire de famille où il décrit son monde, même quand cela ne se voit pas comme dans Le Brio, trois fois sélectionné pour les César : pas de rôle pour eux deux cette fois, mais la fille des cités qui fait son chemin jusqu’au concours d’éloquence, c’est un peu lui. Et c’est encore une facette de lui-même qu’il joue en ce moment au théâtre des Champs-Élysées, dans Un fils, la pièce de Florian Zeller. Chaque soir, il termine en larmes : cette histoire conflictuelle entre un père et son fils dépressif qui lui échappe, il l’a vécue avec le sien, Ben, 20 ans aujourd’hui, tout juste sorti des affres de l’addiction.

Pendant ce temps, en pleine tournée mondiale, Charlotte se cogne sur scène à sa vérité à elle, en Suisse, en Amérique, en France, au Japon… La fille de Jane Birkin et de Serge Gainsbourg a passé un cap. Elle n’est plus l’adolescente effarouchée, écrasée par deux icônes, qui ne parlait qu’en chuchotant et ne chantait qu’en anglais pour éviter de regarder les choses en face. Ses vivants et ses morts, elle les affronte de plain-pied et en français dans ce dernier album, Rest, pour lequel elle a reçu la Victoire de la musique de l’artiste féminine de l’année. Elle va au plus intime, loin, crûment, jusqu’au corps de son père reposant à son côté. Brutalité impudique de ses textes, de la mélodie électronique du musicien SebastiAn, des images du clip joué par Charlotte et sa plus jeune fille dans l’antre sacré de l’artiste, son appartement parisien de la rue de Verneuil. « J’ai touché un visage de cire / Qui certainement t’a fait fuir / Ta jambe nue sortait du drap / Sans pudeur et le sang froid / Au coin de la bouche une traînée / Tu n’aurais pas aimé / J’étais allongée contre toi / J’ai pris ce droit, sans foi. »

Elle chante sa caresse sur le visage de cire et le bruit des clous qui ferment le cercueil. Elle chante ses dialogues d’outre-tombe avec Kate, la fille aînée de Jane, sa sœur tragiquement disparue en décembre 2013, en tombant d’une fenêtre : « Dressée à l’alcool / Sans qu’il te console / Perdue à jamais / (…) On devait vieillir ensemble / Dans notre monde imparfait. » Elle chante, seule pour la première fois, « Lemon Incest » et « Charlotte for Ever », les chansons ambiguës, délicieusement scandaleuses, que Serge Gainsbourg avait composées pour des duos avec elle quand elle avait 13 et 15 ans et qu’elle poussait sa petite voix d’enfant jusqu’à la faire chevroter maladroitement dans les aigus. « L’amour que nous n’f’rons jamais ensemble / Est le plus beau, le plus violent / Le plus pur le plus enivraaant. »

Vous avez lu 5% de cet article. La suite est à retrouver dans le numéro 56 (Avril 2018) de Vanity Fair France

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