« L’idée de chanter sur scène me fait plaisir » (Le Monde)

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Par Stéphane Davet, Le Monde, 07.12.09

Commencée en fanfare par un prix d’interprétation à Cannes pour le film Antichrist, de Lars Von Trier, l’année 2009 se termine en beauté pour Charlotte Gainsbourg avec la sortie, le 9 décembre, d’un film de Patrice Chéreau, Persécution, et d’un album audacieux, IRM, écrit et produit par Beck, personnalité excentrique du rock californien. Trois ans après l’album 5.55, concocté par le duo versaillais d’Air, la fille de Serge et Jane élargit son champ d’expériences et se prépare à donner ses premiers concerts. Rencontre avec une muse à la douceur déterminée.

Vos partenaires musicaux Air ou Beck ont-ils le même rôle que les metteurs en scène ?

Air construisait à l’avance les morceaux. J’ai moins eu l’impression d’être dirigée avec Beck. Ce dernier est responsable des musiques et des paroles, mais j’ai eu le plaisir de tout faire avec lui.

Comment avez-vous rencontré Beck ?

J’aimais son travail depuis longtemps. Je l’avais rencontré à l’époque du précédent disque, par l’intermédiaire du producteur Nigel Godrich, qui réalisait 5.55. Plus tard, ma maison de disques l’a contacté, et nous avons fait cinq jours d’essai. Il en est ressorti trois morceaux de styles très différents. J’aimais cet éclectisme, le côté expérimental et ludique de sa façon de travailler.

Quelle a été votre méthode de travail ?

Je suis allée le voir chez lui, à Los Angeles, pour des sessions qui duraient de dix jours à trois semaines. Il possède une grande maison avec un jardin, une piscine, un petit studio. Dès le réveil, j’avais l’impression qu’il était greffé à sa guitare (rires). Nous commencions souvent à partir d’un rythme trouvé à la batterie ou sur ordinateur. Il improvisait. J’essayais de m’inspirer de ce que j’entendais pour écrire des bouts de texte, des listes de mots que je lui montrais très timidement. Deux livres m’ont accompagnée : De l’autre côté du miroir, de Lewis Carroll, et un recueil d’Apollinaire. C’était à la fois intense et relax. J’aime son côté nonchalant. Il n’y a jamais rien de forcé musicalement. Cela m’a aidé à me mettre en confiance.

Vous avez composé la chanson titre à partir de véritables bruits IRM. Pourquoi ?

J’ai eu un accident de ski nautique, en 2007, qui a provoqué un début d’hémorragie cérébrale. J’ai fait beaucoup d’IRM. J’étais traumatisée et les bruits de cette machine m’angoissaient. Après mon opération, j’ai fait beaucoup d’autres examens. J’avais tout le temps besoin d’être rassurée. J’ai fini par être assez transportée par les sons électroniques que j’entendais. Avec Beck, nous avons échantillonné un petit extrait de ces bruits pour construire le morceau, mélanger le côté poétique et médical de la machine. A partir de là, nous avons pu explorer d’autres thèmes comme celui de la mémoire. J’étais très angoissée par de possibles pertes de mes facultés intellectuelles.

Vous continuez de préférer chanter en anglais ?

Je fais semblant d’être bilingue. J’ai beaucoup de lacunes en anglais. J’ai choisi l’anglais pour ne pas avoir à me comparer aux chansons de mon père. Je peux m’amuser avec, sans vraiment pouvoir écrire. Je ne me sens pas prête.

Quelle part a la musique dans votre quotidien ?

J’ai un rapport douloureux à la musique. J’ai du mal à en écouter, car je suis facilement envahie par un morceau. Je mets des choses que je connais par coeur, cela me rassure. J’utilise aussi la musique pour me mettre dans l’ambiance d’un film. Avant de tourner I’m Not There, de Todd Haynes, j’écoutais bien sûr Dylan en boucle. Avant Antichrist, je m’étais fait une playlist de musiques effrayantes : Mahler, Beethoven, Carmina Burana…

Etait-il important de savoir que Beck était fan de Gainsbourg ?

Je ne savais pas à quel point il le connaissait. Pendant l’enregistrement, nous en avons peu parlé. C’était délicat de sa part… Ce n’est qu’après que je me suis aperçue qu’il connaissait parfaitement son oeuvre. Mais il n’est pas un fan transi. Il a une culture musicale énorme. C’est lui qui m’a fait découvrir Le Chat du Café des artistes, de Jean-Pierre Ferland, un chanteur québécois que nous avons repris.

Allez-vous interpréter ces chansons sur scène ?

A l’époque de 5.55, je ne me sentais pas prête. Cette fois, Beck a monté un petit groupe pour que nous puissions tourner – certaines chansons ont d’ailleurs été composées pour donner du relief aux concerts. Même si je ne vais pas m’improviser bête de scène, l’idée de chanter sur scène avec eux me fait plaisir. En ce moment, la musique prend le pas sur le cinéma, même si les films me manquent très vite.

Propos recueillis par Stéphane Davet
Article paru dans l’édition du 08.12.09

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