Lulu et Charlotte Gainsbourg en couverture des Inrocks: Gainsbourg, next generation

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En kiosques du 23 au 29 novembre ne ratez pas cette magnifique interview et séance photo avec Charlotte et Lulu Gainsbourg pour la première fois réunis ainsi.

L’idée a d’abord jailli comme une blague puis s’est vite transformée en évidence : réunir devant un micro et un objectif les deux derniers enfants de Serge Gainsbourg. Non par curiosité people mais pour le plaisir de les entendre converser autour de leurs carrières respectives au moment où chacun publie un album – live pour Charlotte, hommage pour Lulu –, et forcément pour évoquer leur si imposant géniteur, dont on célébrait cette année les vingt ans de la disparition.

Charlotte et Lulu n’ont pas grandi ensemble, l’éloignement géographique et leurs emplois du temps font qu’ils se croisent le plus souvent aux Etats-Unis, où Lulu habite et où Charlotte se rend pour des tournages. Ils n’ont pas non plus les mêmes souvenirs de Serge, la fille de Jane Birkin ayant vécu puis travaillé avec lui pendant une vingtaine d’années quand le fils de Bambou n’en aura profité que cinq ans, un âge où la mémoire n’est encore qu’un fragile lieu en construction.

C’est d’ailleurs pour reconstituer cette mémoire, avant de s’autoriser à présenter son propre travail, que Lulu s’est attaqué à l’exercice périlleux d’un album de reprises de son père, From Gainsbourg to Lulu. Un disque certes imparfait, étouffé parfois par le prestige de son casting de stars internationales – Iggy Pop, Scarlett Johansson, Vanessa Paradis, Johnny Depp ou Marianne Faithfull – mais qui réserve de véritables moments de félicité, comme lorsque Rufus Wainwright réinvente avec majesté Je suis venu te dire que je m’en vais. Un disque aussi où Lulu chante avec un timbre feutré qui lui est propre et fait montre d’une élasticité musicale qui laisse entrevoir de sacrées promesses.

Charlotte, elle, n’a jamais voulu ailleurs que sur scène s’aventurer dans ce répertoire sanctifié, préférant les allusions musicales et les mélodies (Nelson) que lui offrirent successivement Air et Beck. Aujourd’hui, elle prolonge le programme de son album live, Stage Whisper, par une brassée d’inédits où elle se détache encore plus, musicalement, de l’empreinte familiale et se révèle une interprète joueuse et intense. L’un des sept inédits, composé par Conor O’Brien (Villagers), a pour titre Memoir. L’occasion de mettre en commun celles de Charlotte et de Lulu.

Etiez-vous étonnés qu’on vous demande ce dialogue ?
Charlotte – Je trouve toujours bizarre d’organiser un dialogue au sein d’une famille. Faire semblant d’avoir une conversation avec des journalistes, c’est toujours moins naturel que quand on est entre nous. Mais je n’avais pas percuté qu’on sortait des albums au même moment, donc je comprends aussi.

Est-ce qu’il vous arrive de parler entre vous de vos carrières ?
Lulu – Sur le fond non, sur les faits oui. On se voit très peu alors quand ça arrive, on en profite pour se parler d’autre chose.
Charlotte – Lulu a quitté la France il y a cinq ans. C’est devenu compliqué de se voir. On s’est croisés plus souvent à Los Angeles qu’à Paris.
Lulu – Je n’ai pas demandé son avis à Charlotte sur mon idée d’album. J’ai envisagé ce disque seul, je prenais des notes sur un papier, mes idées défilaient dans ma tête. Je préfère laisser la famille à l’écart. Evidemment, je lui ai présenté le projet. Tu m’as dit que c’était bien.
Charlotte – Je suis nulle pour donner des conseils et Lulu sait très bien ce qu’il veut.


Lulu, tu as eu cette idée de disque-hommage à ton père, dans lequel tu revisites ses chansons. Charlotte, c’est quelque chose que tu n’as jamais fait…
Charlotte – Je ne peux pas. Sur scène, je fais parfois quelques reprises car ça n’est pas indélébile : il n’existe pas de trace, c’est plus spontané. Mais j’ai peur de faire ça sur album. Je trouve super que Lulu l’ait fait mais je n’ai pas ce courage-là. Comme j’ai commencé à faire de la musique avec mon père, il a ensuite fallu que je me défasse de lui. Pendant vingt ans j’ai pensé que je ne pouvais rien faire sans lui. Il a fallu que je l’éloigne pour pouvoir exister seule. Ça m’a pris beaucoup de temps de comprendre que je pouvais faire autre chose et avoir du plaisir sans lui. C’était la première étape. La suite va me prendre encore vingt ans !
Lulu – Mon premier pas en avant, je l’ai fait il y a deux ans et demi en choisissant la musique de façon professionnelle. Avant, c’était impossible. Quand je suis arrivé à Berklee, je me cherchais encore. Ce n’est pas une décision facile à prendre quand on a Serge Gainsbourg juste au-dessus de soi. Et puis un jour j’ai compris que j’avais le droit de faire ce que j’aimais. Depuis que j’ai 4 ans, je joue du piano, une vraie passion. Cet album représente une étape supplémentaire. Au départ, j’ai pensé que je ne pouvais pas chanter les chansons de papa, qu’il me fallait des invités. Finalement, j’en interprète quelques-unes mais c’est une évolution lente.

Ce mois-ci, on réédite Melody Nelson ainsi que le projet de Bashung autour de L’Homme à tête de chou… Vos deux albums paraissent à quelques semaines d’intervalle. Ne craignez-vous pas une saturation de l’actualité Gainsbourg ?
Charlotte – Mon album n’a rien à voir avec lui. Mais c’est vrai que j’ai l’impression que parfois ça fait beaucoup. C’est ce qui m’a arrêtée dans le projet de musée de la rue Verneuil. Il y avait le film de Joann Sfar, l’exposition à la Cité de la Musique… Je me suis dit que si on ajoutait un musée à tout ça, il n’y aurait plus rien de secret. Pareil pour les vingt ans de sa mort : il fallait que je ne sois pas là. Mais je trouve super cette effervescence autour de lui, que Lulu revisite ses chansons et qu’il fasse toujours autant partie de l’actualité. Je suis sûre qu’il en aurait rêvé.
Lulu – J’étais content de partir étudier à Boston. C’était probablement une façon de redevenir anonyme, d’être comme tout le monde, qu’on me dise“Gainsbourg au tableau” comme pour les autres élèves. Et puis j’ai remarqué que la notoriété de papa à l’étranger était plus importante que je le croyais. Je me souviens avoir rencontré Bootsy Collins : le mec a beau mesurer deux mètres, il s’est agenouillé en me disant que c’était un honneur de faire ma connaissance.
Charlotte – C’est drôle car avant, à l’étranger, seuls les gens très underground le connaissaient. Il y avait une sorte de fierté à dégoter un de ses albums dans les bacs. C’est différent aujourd’hui.

Lulu, tu t’es installé aux Etats-Unis pour retrouver un certain anonymat et tu reprends aujourd’hui les morceaux de ton père. Comment l’expliques-tu ?
Lulu – Je suis parti pour me faire un prénom. J’ai conscience que tout ça est contradictoire. A l’origine, je voulais écrire des musiques de film mais ça m’a rattrapé. J’ai eu l’idée de faire ce disque et j’ai alors découvert que j’étais capable de diriger des artistes. Reprendre les chansons de mon père est un cadeau que je lui fais avant de me lancer dans ma propre aventure. C’est une démarche très personnelle. J’avais 5 ans quand il est parti. A part lui apporter des fleurs sur sa tombe, je ne lui ai jamais rien offert. J’étais donc particulièrement motivé. Je sais bien que certains vont apprécier et que d’autres vont dire “ah ouais le mec il reprend les chansons de son père.” Ça me passe au-dessus : si je m’arrête à ça, alors je ne fais rien. Je sais aussi que je ne vais pas reprendre ses chansons toute ma vie.

Si le disque est un cadeau, son titre, From Gainsbourg to Lulu, semble contradictoire…
Lulu – J’ai simplement voulu le mettre en avant car il s’agit de son oeuvre. Ça a beau être un cadeau de ma part, je n’ai fait que produire et arranger. Je ne suis que le chef d’orchestre.

Vous avez tous les deux esquivé l’exercice de l’écriture de textes en français : Lulu en reprenant ceux de ton père, Charlotte en préférant la langue anglaise. L’écriture vous fait peur ?
Lulu – Ça me terrifie d’écrire des textes. Quand j’écoute une chanson, j’écoute la musique, c’est elle qui me parle. Comme dans les films, je trouve qu’elle est aussi importante, si ce n’est plus, que les dialogues ou le scénario.
Charlotte – En anglais ou en français, ce n’est jamais moi qui écris. Et c’est plus facile de chanter en anglais car il y a une distance. Ça a l’air beaucoup plus difficile d’écrire en français. Les beaux textes sont très rares. Je serai toujours plus exigeante avec le français, comme on l’est avec sa langue maternelle. Au début, j’étais vraiment hermétique au français. N’importe quel mot risquait de me rappeler une chanson à lui.

Tous les deux avez été exposés très tôt au public par votre père. Quel effet cela vous fait-il aujourd’hui ?
Lulu – Je n’en ai aucun souvenir. Même quand je regarde cette vidéo où il me fait monter sur la scène du Zénith, j’ai du mal à croire que c’est moi. Je suis terrifié, ça se voit. Ça a dû me rendre amnésique… Mon père m’a peut-être mis en avant mais ma mère m’a toujours protégé. Il n’y avait aucune raison à ce que je sois médiatisé parce que j’étais le fils de. Aujourd’hui, j’ai un projet, j’ai travaillé dur, j’ai des raisons de discuter avec vous. Avant, je n’en avais pas.
Charlotte – J’ai été médiatisée dès mon jeune âge mais ça me touche quand je pense à lui car cela se passait de manière très naturelle, très évidente. Il nous aimait donc il voulait nous mettre en avant. A l’époque, il n’y avait pas ce côté “il faut les cacher des médias”. Ma mère et mon père s’exposaient en famille : France Dimanche venait à la maison le week-end. Aujourd’hui on ne pourrait pas faire ça de manière innocente. Mais ça l’était pour lui. Il adorait les médias et voulait partager ce qui lui était précieux. On ne peut qu’être heureux d’en avoir fait partie.


Lulu, sur ton album, tu fais chanter des femmes. Est-ce un héritage de ton père ?
Lulu – J’ai fait beaucoup de clins d’oeil sur cet album. Vanessa Paradis et Marianne Faithfull, qui y figurent, avaient travaillé avec papa. Avec Mélanie Thierry, je voulais reproduire le principe de l’actrice qui n’a jamais chanté, un concept cher à mon père. Scarlett Johansson, je l’ai vue plus proche de l’époque Bardot.

Charlotte, tes deux premiers albums étaient réalisés par des musiciens influencés par ton père, comme Air ou Beck. Sur cet album live, tu sembles emprunter une nouvelle voie.
Charlotte – C’est vrai que cette fois je suis allée ailleurs. Je me suis plongée dans l’univers de chaque artiste que je rencontrais. Sur les premiers disques, j’avais envie d’être proche d’un idéal, qui était celui de mon père. Il était partout dans ma tête, à chaque moment. Aujourd’hui, sur les morceaux bonus, il n’est pas là du tout. Les gens avec qui j’ai travaillé sur cet album, que ce soit Beck, Connan Mockasin, Villagers ou Noah & The Whale, m’ont inspirée… Ils ont des écritures et des personnalités très différentes. On s’est rencontrés en studio et on ne se connaît pas plus que ça. C’est comme un jeu et j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler ainsi, sans pression. J’ai voulu proposer des morceaux inédits pour donner plus d’actualité à ce live.

Avez-vous l’impression de partager les mêmes goûts en musique ?
Charlotte – Tu sais que je ne connais pas tes goûts. Tu ne dois pas connaître les miens.
Lulu – J’ai une idée des tiens mais on a quatorze ans d’écart… Je suis passé par tous les styles. Petit, j’ai été bercé par papa, par les musiques de Disney. J’ai eu une époque techno, terminée depuis longtemps (rires). En ce moment, j’écoute du jazz, de la musique classique, du rock.
Charlotte – J’envie ta culture classique. J’ai fait du piano mais pas de manière quasi professionnelle comme toi. Je ne connais que Chopin et les Variations de Bach.


Charlotte, tu publies un album live mais tu as mis du temps à faire des concerts. Pourquoi ?
Charlotte – Je me l’étais refusé car je ne m’en sentais pas capable. Ma mère m’a dit que j’allais adorer ça, que je n’avais pas idée du plaisir que ça procurait. Elle avait raison. La scène, c’est un autre monde, très intimiste. Je suis heureuse de l’avoir fait par envie et non par obligation.
Lulu – J’ai découvert la scène avant-hier. J’ai sept musiciens et je suis un tyran. Ce sont les chansons de papa : si ce n’est pas au top, ça ne va pas du tout. Je suis intransigeant.


Arrivez-vous à écouter la musique de votre père avec une simple oreille de musicien ?
Lulu – Oui car j’ai l’oreille musicale depuis que je suis petit. Je suis donc plus à l’écoute de sa musique que de ses textes. Je travaille aussi beaucoup sur le détachement.
Charlotte – Je me sens très con mais je reste seulement dans l’émotion. C’est plus facile d’écouter sa voix sur les albums de l’époque jazz car c’est une voix qu’il n’aimait pas. Sinon, je suis devenue une pro de toutes les introductions de ses chansons car dès que j’en entends une, à la radio ou dans un taxi, je change. La voix, c’est tellement vivant, beaucoup plus qu’une image. C’est comme le voir incarné par quelqu’un d’autre à l’écran : je n’ai pas pu. J’espère que l’acteur ne m’en veut pas, je sais qu’il a fait un travail incroyable et j’espère qu’il comprendra. Ça ne peut pas être à la hauteur de ce que j’ai vécu.
Lulu – Pour moi ça a été plus facile parce que j’avais 5 ans quand il est parti, pas 20 comme toi. Quand je vois le film, je le découvre aussi un peu, comme quand je regarde les vidéos sur YouTube.

Quels sont vos projets ?
Lulu – Peut-être de la chanson, peut-être des musiques de films. Peut-être autre chose. Il faut savoir prendre son temps.
Charlotte – Je ne suis pas en tournage. J’ai envie de prendre mon temps aussi, d’autant que le film de Lars von Trier est toujours en salle. J’aimerais bien me plonger dans un nouvel album quand même, car je ne suis pas très rapide. Et puis j’adorerais trouver un nouveau film à tourner. Avant, j‘avais très envie de cloisonner la musique et le cinéma. Je voulais pouvoir passer de l’un à l’autre, trouver une respiration dans la musique quand je venais de tourner un film et vice versa. Aujourd’hui, j’aime bien que ce soit plus bordélique que ça, en tout cas dans ma tête, que les métiers se correspondent. Mais je ne me presse pas.

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