Rest, l’album du réveil (Journal de Montréal)

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Par Vanessa Guimond, Journal de Montréal, Dimanche, 1 octobre 2017

Charlotte Gainsbourg a effectué un court séjour à Montréal, la semaine dernière, afin de faire la promotion de son quatrième album Rest, opus dont elle signe pratiquement toutes les paroles.

Profondément marquée par la perte tragique de sa sœur, libérée de ses complexes grâce à son exil new-yorkais, Charlotte Gainsbourg s’apprête à franchir une étape importante de son parcours musical.

Photo par Amy Troost

Le 17 novembre, la star française lèvera le voile sur son quatrième album, Rest, premier opus sur lequel toutes les pièces (à l’exception d’une, offerte par Paul McCartney) portent sa signature.

« C’est un album qui me tient à cœur, parce que voilà, il est particulier », a indiqué la chanteuse au cours d’une rencontre qui s’est déroulée dans un hôtel du Vieux-Montréal, à l’occasion d’une brève visite promotionnelle dans la métropole.

Il faut dire que l’écriture, jusqu’à présent, avait toujours été un exercice laborieux, voire pénible pour l’artiste de 46 ans, fille des icônes Jane Birkin et Serge Gainsbourg.

« Sur l’album d’Air (qui signe la musique de 5 :55, paru en 2006), j’ai essayé, j’ai écrit un tout ­petit texte, mais bon. Je savais que je voulais chanter en anglais, donc je suis allée voir Jarvis Cocker et j’étais très heureuse de ses textes. Pareil avec Beck (qui a réalisé, composé et écrit les pièces d’IRM, paru en 2009). J’y allais parce que j’adorais sa patte et ses textes, mais secrètement, j’avais envie d’arriver à écrire », a-t-elle expliqué.

« Lui aussi, il me disait que je devais écrire en français. Il me poussait beaucoup, mais chaque fois, je ne me sentais pas à la hauteur, a-t-elle poursuivi. Je n’aimais pas ce qui sortait. J’étais tout le temps dans la critique, tout le temps dans le jugement. C’était que du négatif. »

Les premiers pas

Souhaitant mettre un terme à son supplice, c’est le musicien Connan Mockasin qui a ­finalement pris les devants en lui proposant de ­l’accompagner dans sa démarche créative. C’était il y a cinq ans.

« Il a pris le temps », a souligné la chanteuse, précisant qu’elle avait alors réussi à écrire, en français, trois ou quatre textes dont elle était « un peu contente. C’était très l’air de rien, en fait. Il n’y avait pas de pression. »

Ce n’est que l’année suivante, toutefois, qu’elle a contacté celui qui allait devenir le réalisateur de son nouvel album, SebastiAn, producteur électro qui a notamment travaillé avec Frank Ocean et Philippe Katerine.

« J’aimais ce que faisait SebastiAn, parce que ça avait de l’ampleur, a-t-elle expliqué. C’était costaud, et je me disais que ce serait un beau défi de mettre une voix qui est plutôt petite, comme la mienne, sur sa musique. Ç’a été ça, le point de départ. »

Le choc et la libération

Puis, le choc s’est produit. Fin 2013, la ­photographe Kate Barry meurt après avoir chuté de son appartement, laissant dans le deuil tout le clan de Jane Birkin, dont elle était la fille. ­Charlotte, au bord de l’effondrement, décide de quitter Paris pour s’installer à New York.

« Je me suis mise à écrire qu’à propos d’elle. Ça venait comme ça. Je l’ai fait avec beaucoup d’impudeur, je m’en rends compte aujourd’hui, mais c’était une nécessité. Ce n’était pas, non plus, thérapeutique. Je ne l’ai pas fait parce que j’avais besoin de ça pour aller mieux, non. J’avais beaucoup de plaisir quand je le faisais. J’avais du plaisir à être obnubilée par elle, par le manque, par la peine et tout ce qui allait avec. »

Plus qu’un simple décor, New York a joué un rôle essentiel dans la création de ses nouvelles pièces.

« Là-bas, tout le monde est artiste (…) Ç’a rendu la tâche banale, ç’a désacralisé la chose. C’était tout ce qu’il me fallait, car pour moi, écrire, c’était de l’ordre du sacré à cause de mes ­parents. L’écriture de mon père, c’était quelque chose que j’avais mis sur un ­piédestal. Tout le monde considère sa ­musique comme le summum de ­l’écriture française. Moi, je ne pouvais pas ­passer après. Là, j’avais mis ça de côté. Je n’avais pas oublié, car bien sûr, ­musicalement, il était toujours là, mais je me foutais d’écrire moins bien que lui. »
Pour son père

En plus des pièces inspirées par la mort de sa sœur (Rest, Kate, Les oxalis), Charlotte Gainsbourg revient, avec la chanson Lying with You, sur le décès de son célèbre père, ­survenu lorsqu’elle avait 19 ans. « Où est parti mon ­baiser, quand le coffre s’est fermé. J’entends ­toujours battre les clous, toi perdu, moi éperdue », y chante-t-elle.

« Ce rapport à la mort, ce que j’ai subi en le voyant comme ça, c’est quelque chose d’aussi fort que ce qu’il m’a laissé de souvenirs ­vivants, a-t-elle indiqué. Pour moi, c’était une déclaration d’amour aussi. Je voulais des mots durs et crus, mais qui allaient exprimer un amour illimité pour lui. »

Malgré tout, Rest n’est pas un album lourd ni triste, loin de là. La musique qu’il ­propose est entraînante, riche et bien vivante. Aux yeux de ­Charlotte, cet opus représente même une forme de réveil.

« Je n’ai pas cherché à ce que ça ne soit pas un album triste, mais je crois que ­SebastiAn a compris dans quel état ­d’esprit j’étais. Je n’étais pas bien, mais j’étais dans l’envie de faire quelque chose. »

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